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18 avril 2025

L'Éditorial du 18 avril 2025

La proposition a été lancée comme un slogan, presque comme une provocation. Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes et figure de la droite, a récemment suggéré d’installer un centre de rétention pour personnes sous OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) à Saint-Pierre-et-Miquelon, une petite collectivité française située à plus de 4 000 kilomètres de Paris, au large du Canada.

Selon lui, l’idée est simple : éloigner les étrangers en situation irrégulière pour "protéger les Français" et par cet isolement, les inciter à quitter plus vite le territoire. Mais sous ces airs de fermeté politique se cache une proposition choquante, irréaliste, et surtout contraire aux principes mêmes de la République.

Cette mesure administrative concerne des personnes étrangères qui n’ont plus le droit de rester sur le territoire français, soit parce qu’elles sont entrées sans titre de séjour, soit parce que leur demande d’asile a été rejetée. On parle ici de décisions administratives. Ces personnes ne sont pas "dangereuses" par nature, comme l’a pourtant sous-entendu Wauquiez dans ses interventions.

En réalité, la majorité des OQTF concernent des individus qui travaillent, qui ont une famille, ou qui vivent en France depuis plusieurs années. Certains sont en attente de recours, d'autres espèrent une régularisation. Leur situation est souvent liée à la lenteur des procédures, au manque d’accompagnement, ou à des obstacles juridiques complexes. Les réduire à un simple statut "d’indésirables" qu’il faudrait éloigner à tout prix, c’est déshumaniser des parcours de vie, c’est oublier que chaque cas mérite une attention individuelle.

Un climat rigoureux, un archipel éloigné de tout, et donc, selon Wauquiez, un lieu stratégique pour décourager toute volonté de rester sur le sol français. Mais ce calcul est dangereux à plusieurs niveaux.

D’abord, il ignore complètement les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui n’ont jamais été consultés au sujet de ce projet. Cette collectivité française n’a ni l’infrastructure ni les moyens humains pour accueillir un centre de rétention. La proposition a d’ailleurs suscité une levée de boucliers sur place, entre indignation et incompréhension.

Ensuite, cette idée est un symbole d’exclusion territoriale. Faire d’un bout de territoire français un espace d’enfermement pour étrangers, c’est rejouer les heures sombres de notre histoire : celles du bagne, de l’exil forcé. Ce n’est pas une politique migratoire, c’est une punition géographique.

Ce projet révèle une tendance inquiétante dans le débat public : celle de rendre l’étranger responsable de tous les maux, et de lui attribuer un rôle de bouc émissaire. En période de tensions économiques, de sentiment d’insécurité, ou à l’approche d’échéances électorales, certains responsables politiques surfent sur la peur au lieu de chercher des solutions humaines et durables.

Les OQTF ne sont qu’une petite partie du problème migratoire en France. Certes, les chiffres sont impressionnants. En 2022, près de 120 000 OQTF ont été prononcées, mais leur mise en œuvre reste faible. Moins de 20 % des OQTF sont effectivement exécutées, et ce chiffre témoigne de l’incapacité de l’administration à appliquer ses propres décisions. Pourquoi ? Parce que la coopération avec les pays d’origine n’est pas toujours au rendez-vous, que les procédures juridiques sont longues et compliquées, et que les moyens de gestion sont insuffisants. Le problème n’est pas l’inefficacité de l’immigration elle-même, mais l’inefficacité du système français pour la réguler de manière juste et humaine.

Mais la République française ne peut pas renier ses valeurs chaque fois que l’immigration devient un sujet brûlant. La France s’est toujours voulu une terre d’accueil, un pays attaché à l’État de droit, au respect des personnes, et à la justice. Ce que propose Laurent Wauquiez va à l’encontre de tout cela. Il transforme la République en outil de rejet, et ses territoires en zones d’enfermement.

Il existe pourtant des alternatives. Renforcer la coopération diplomatique avec les pays d’origine. Raccourcir les délais de traitement des demandes. Mieux accompagner les personnes dans leur démarche de retour volontaire. Travailler avec les associations et les collectivités locales. C’est long, c’est complexe, mais c’est utile.

Envoyer des gens au bout du monde dans l’espoir qu’ils se fatiguent à rester, ce n’est pas une politique. C’est un aveu d’échec.

Il est temps de dire stop à ces logiques de rejet et de spectacle. Saint-Pierre-et-Miquelon n’est pas une prison. Les étrangers sous OQTF ne sont pas des ennemis. Et la République ne doit jamais devenir une machine à exclure. Elle doit être fidèle à ce qu’elle est : un espace de droit, de justice, et d’humanité.

À une époque où le monde semble se tourner de plus en plus vers des solutions sécuritaires, il est crucial de rappeler que l’accueil, la solidarité, et le respect des droits humains doivent rester au cœur de notre modèle républicain.

M.R. le18 avril 2025 / Esprit Occitanie


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