Août 2023
Une nouvelle rubrique pour vous amis auditeurs afin de profiter de cette pause estivale pour se décrasser les neurones sans se prendre la tête ; une rubrique consacrée à des travaux et articles de fond, renseignés, documentés, abordant les sujets les plus divers ; une rubrique nourrie par nos producteurs-animateurs et nos partenaires qui ont laissé libre cours à leur plume…
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
N° 5
« Dans ce texte fort complet, Pierre-Jean Brassac, le procureur-animateur, de l’émission Occitanie, Terre d’Extases, se penche sur l’un des grands mystères qui a fait couler beaucoup d’encre dans notre région, l’Abbé Saunière et son considérable enrichissement, inattendu chez un prêtre d’une paroisse aussi pauvre que perdue. Une bien belle histoire qui en a fait rêver beaucoup...
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
LA FAUTE DE
Les Enigmes de Rennes-le-Château
Ce qui est vrai sous une lampe
n'est pas toujours vrai en plein soleil
I
Les fondements du mystère
Comment un abbé aux revenus modestes a-t-il pu dépenser autant d'argent, d'abord au bénéfice de la chapelle et du presbytère, et par la suite à son bénéfice personnel parce qu'il voulait préserver ses biens de la mainmise de l'Etat républicain ?
A-t-il découvert un trésor ou reçu des dons substantiels, s'est-il enrichi au moyen de quelque trafic obscur ?
Quelles sont les hypothèses en présence ? Quels faits sont à l'origine de ce mystère de l'abbé Saunière que l'on assimile au mystère de Rennes-le-Château .
Nombre d'auteurs partant de la certitude contestable qu'un "trésor de Rennes-le-Château" a réellement existé, ou existe encore, se voient contraints d'expliquer son origine à grands renforts d'assertions hasardeuses, pratiquant ce que la langue anglaise désigne par l'expression "wishful thinking". Pour stigmatiser cette tendance, René Descadeillas en appelle à Bossuet, dans l'épigaphe de son livre [1] consacré à la "Mythologie du Trésor de Rennes": "Le plus grand dérèglement de l'esprit, c'est de croire les choses parce qu'on veut qu'elles soient". Ce qui revient à prendre ses désirs de trésor pour des réalités. Cela peut aussi avoir pour but d'en faire accroire autour de soi, avec les résultats économiques positifs que l'on devine. Pour une majorité de chercheurs, nous dit Jean Blum[2], "Saunière est réputé avoir placé en son église des signes de piste à vocation trésoraire". Ne serait-ce pas trop beau pour être vrai ?
En tant que produit des espérances humaines et de l'imaginaire, cette diversité des quêtes vue de loin a quelque chose d'émouvant. Quels désirs d'élévation, de sagesse, de connaissances et de richesse n'a-t-elle ps pour moteur ? Ils sont nombreux ces chercheurs de trésor à avouer que l'essentiel n'est pas la découverte, mais la recherche, cette gymnastique mentale qui tient en éveil l'esprit et par le prisme de l'imaginaire, le focalise sur une spéculation étourdissante. Rechercher la forme d'expression de son besoin de transcendance élève déjà l'homme.
[1] René Descadeillas, Mythologie du Trésor de Rennes, Histoire véritable de l'Abbé Saunière, curé de Rennes-le-Château, Editions Collot, 1991
[2] Jean Blum, Rennes-le-Château. Wisigoths, Cathares, Templiers. Le secret des hérétiques, Age du Verseau, Editions du Rocher, 1994
N° 6
Deux de nos producteurs, Monique Drieux (émission Histoire Histoires) et Jacques Lavergne (Cap e Cap et Arkania), nous ont envoyé une carte postale sous forme de texte. Tous deux ont choisi de nous parler d’un même sujet, parfaitement d’actualité : le tourisme et les vacances. Deux points de vue, chacun reflétant bien la sensibilité et les préoccupations de son auteur.
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Et le patrimoine alors ?
La nouvelle est tombée le 31 juillet, en pleine saison touristique : l’Unesco recommande de placer Venise sur la liste du patrimoine mondial en péril, en raison des mesures de protection insuffisantes et de l’urgence de la situation.
L’ensemble de Venise a été inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco en 1987 selon plusieurs critères : « considéré comme un extraordinaire chef d’œuvre architectural, directement et matériellement associé à l’histoire universelle une réalisation artistique unique, un exemple éminent d’utilisation du territoire devenu vulnérable sous l’effet de mutations diverses ». On ne peut méconnaître les alertes de ces dernières années : un afflux touristique important avec plus de 15 millions de visiteurs par an, des habitants repoussés de leur cité par les locations saisonnières, les déchets à gérer, l’élévation du niveau de la mer qui menace les fondations, sans compter les navires de croisière, finalement interdits de traverser la cité en raison de la pollution des eaux engendrée, des vagues provoquées, des quais défoncés par des manœuvres malabiles. Mais il aura fallu attendre 2021 pour que cette décision soit enfin prise par les autorités italiennes, après la première recommandation de l’Unesco, qui constatait déjà qu’aucune mesure réelle n’a été mise en place : pas d’étude d’impact, aucun contrôle du flux touristique malgré les barrières d’entrées et de sortie achetées (on aimerait savoir qui les a financées d’ailleurs), pas de système de réservation obligatoire qui permet dans bien des cas de juguler les touristes. On connaîtra bientôt la décision du comité de l’Unesco qui va se réunir à Ryad du 10 au 25 septembre. Si Venise est finalement inscrite sur la liste des biens du patrimoine mondial en danger, des mesures de conservation pourraient être votées et financées rapidement, avec une aide du Fonds du patrimoine, une aide internationale et avec l’accord et la participation de l’état italien. Le même qui, avec les autorités de Venise, ont pendant des années laissé la situation se détériorer, laissé les navires croiser dans la lagune pour ne pas perdre les taxes, laissé les constructions nouvelles s’empiler à proximité des vestiges pour des raisons sans doute juteuses, laissé les systèmes de locations saisonnières gagner du terrain au détriment de la population locale. La colère des vénitiens, exprimée depuis au moins 2016 contre les navires de croisière, aura peut-être aidé à susciter le sursaut de l’Unesco pour prendre des mesures radicales et permettre la préservation de la cité des Doges.
En France aussi des sites patrimoniaux et naturels sont menacés par le surtourisme et des collectivités tentent de prendre des mesures : le Mont Saint Michel, le Mont Blanc, le Pont du Gard, l’île de Bréhat dont le maire a baissé à 4700 le nombre de visiteurs par jour au lieu de 6000 , le GR20 en Corse, Etretat qui ne valorise plus les falaises mais dirige vers d’autres lieux, Marseille ou Porto Vecchio qui mettent en ligne des images dissuasives montrant la surpopulation dans les calanques. Avec l’afflux des touristes, les prix de l’immobilier augmentent, les difficultés à gérer les déchets aussi, la consommation d’eau explose et les inquiétudes sur la régénération des nappes phréatiques surgissent ça et là.
Certes, le patrimoine attire le tourisme qui engendre des recettes : pour 1 euro dépensé, 7 euros rentrent dans les caisses, selon les données de 2007 données par l’Observatoire national du patrimoine lors des Ateliers du patrimoine organisés par la Région Midi Pyrénées. Le tout est de savoir, comme à Venise, comment canaliser les retombées financières du tourisme pour qu’elles bénéficient réellement à la préservation du patrimoine.
Pour répondre aux collectivités locales de plus en plus démunies, l’Etat a annoncé le 18 juin (mais si !) un « plan du surtourisme » destiné à réguler les flux touristiques, notamment dans des lieux ou des sites naturels sur fréquentés. Un guide sera établi d’ici fin 2023 et un observatoire (bis) mis en place regroupant les professionnels du tourisme, les grands groupes, des chercheurs et même des influenceurs (mais si ! bis). Ceux-ci ont un rôle non négligeable dans le surtourisme, ou pas : pour exemples des lieux de tournage de films (Le Seigneur des Anneaux, Star Wars, Game of Throne) et de séries (Crash Landing on You) qui ont été pris d’assaut, sans que les autorités locales ne puissent anticiper. Ce n’est pas nouveau : on se rappellera l’afflux de visiteurs à Belle Ile en Mer après la sortie de la chanson de Voulzy, ou de l’omelette de la mère Poulard vantée par Etienne Daho, qui a valu à la cuisinière une renommée internationale et au Mont Saint Michel quelques touristes en plus.
Le patrimoine historique, naturel, matériel ou immatériel, est devenu un bien de consommation comme un autre : on a « fait » Lascaux ou le Mont Saint Michel, le Taj Mahal ou l’Everest. Le surtourisme génère des devises ; une manne pour certains et même pour beaucoup, qui oublient trop vite que le patrimoine, bien public national ou mondial, doit être respecté, restauré, conservé. Ce qui arrive à Venise arrive en tous lieux patrimoniaux. Le surtourisme et ses devises pourraient bien contribuer à la disparition même de ses terrains de jeux si des mesures concrètes et constructives ne sont pas prises très rapidement.
On espère donc beaucoup de la réunion du comité de l’Unesco en septembre, et beaucoup du Plan du surtourisme en France, surtout à l’approche des jeux olympiques.
Monique Drieux
Bonnes vacances à tous
En cet été, quoi de plus logique que de parler du tourisme ainsi fort bien défini par le natif de Sorèze et secrétaire perpétuel de l’Académie Française, Jean Mistler : « Le tourisme est l'industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux. »
Car oui, ce tourisme - pratiqué par ceux qui en ont les moyens - n’est plus ce qu’il fut à ses origines, à savoir une sympathique activité. Las, il y a longtemps qu’est révolue l’époque des premiers congés payés institués en France dès le 9 novembre 1853 par un décret de l'empereur Napoléon III (mais seulement au bénéfice des fonctionnaires). Il a fallu attendre le Front Populaire pour les généraliser. La loi fut votée à l'unanimité par les députés le 11 juin 1936 et promulguée le 20 juin 1936. Elle prescrit un minimum de deux semaines de congés par an pour tous les salariés français liés à leur employeur par un contrat de travail.
Mais aujourd’hui ce tourisme n’est plus le plaisir simple de voyager, de changer d’air, de région, d’ambiance, de se détendre ; le tourisme solitaire et romantique des premières sociétés industrielles, c’est terminé. Aujourd’hui le touriste se déplace en groupe, fait quelques selfies, passe vite, sans trop se fatiguer, réclame toujours plus de sécurité et de prestations standardisées. Le tourisme est devenu rien moins qu’une industrie, où l’argent est roi (même les plages sont de plus en plus largement privatisées).
Une des activités les plus polluantes qui soit : bagnoles et bitume partout, avions à gogo et moins chers que le train, bateaux gigantesques, stations de mer ou de montagne artificialisées, dénaturées : bonjour la débauche de CO2, et à présent celle de l’eau douce. Comme le pensait Bernard Charbonneau et quelques uns de ses amis (Illich, Reclus, Bookchin), cité par le professeur Chastenet « ….le développement de cette industrie comporte sa propre fin puisqu’elle détruit ce qui est sa raison d’être, la nature et la variété des sociétés ». [1]
Des masses de gens, malheureusement pour beaucoup indisciplinés, irrespectueux des lieux et de leurs habitants, envahissent des territoires durant quelques semaines – tous dans les mêmes lieux, tous au même moment - telles les hordes de Huns du IVème siècle, laissant ceux-ci souillés, épuisés et les locaux dont la vie a été pourrie pendant toute une saison, excédés quant ils ne sont pas tout simplement condamnés à s’exiler car ne pouvant plus trouver à se loger à des prix décents, voire tout simplement mener une existence paisible et normale.
Les exemples sont légions, que ce soient villes ou endroits emblématiques dont les noms sont bien connus et la liste finalement assez courte. Ils sont noyés, lessivés, pollués, fuient par leurs natifs qui ont cédé la place de guerre lasse à des multitudes de petits commerçants vendant de médiocres et pitoyables « souvenirs » fabriqués par des enfants en Asie ou par des Ouïgours esclavagisés par le pouvoir chinois. Quand la place n’est pas occupée par des chaines internationales richissimes offrant des prestations aseptisées aussi onéreuses que partout identiques. Promiscuité, béton, réglementation, uniformité, dénaturation, exclusion par l’argent.
Venise, cette ville qui m’est chère, en est l’exemple le plus frappant, une cité entière transformée en « Disney Land » pour le plus grand profit de certains. Une histoire millénaire et prestigieuse foulée au pied, une biosphère et une nature ravagée, un joyau de notre civilisation réduit au rôle de tiroir caisse et de décor à fantasmes, une population à bout et découragée. Absolument navrant et qui en dit long sur les capacités des Hommes à pourrir leur planète, à scier la branche sur laquelle ils sont assis, à ravager ce que des civilisations ont mis des millénaires à bâtir. Nous avons inventé le touriste en batterie, artificiellement cultivé par des exploitants spécialisés.
Alors me direz-vous, que faire ? Car, il faut bien que les travailleurs de tous poils se reposent, se divertissent et oublient les vicissitudes d’une société qui les traitent mal et les épuisent ; et que les retraités profitent de ce qui leur reste de vie, dépensent leur retraite et engrangent des souvenirs pour les temps où ils marineront dans leur couche de trois jours chez ORPEA et consort.
Comment résoudre cette question délicate qui touche à la fois au bien être de tous et aux libertés publiques, notamment à celle de tout un chacun d’aller et de venir, où il le veut, comme il le veut, quand il le veut ? Ce doit être cela que l’on appelle une aporie lorsque l’on a du vocabulaire. Autrement dit une difficulté logique insoluble.
Car le tourisme n’est qu’un des aspects de notre civilisation, il fonctionne aujourd’hui comme tous les autres, et donc selon les mêmes principes : fric roi, laisser-aller jouisseur, court termisme, pillage à grande échelle des ressources de la planète, « après moi, le déluge ! », avec pour conséquences les plus visibles pollution effrénée et modification accélérée et dramatique du climat.
Que font les politiques m’objecterez-vous ? Rien car s’attaquer à cette question nécessiterait du courage (certains en ont mais ils sont rares) et bousculerait tellement d’intérêts économiques, à commencer par la clientèle de ceux qui nous gouvernent. Et pourrait désespérer des masses de gens qui ont actuellement tellement d’occasion de l’être, qu’il est inutile d’en rajouter. Du coup, plutôt que scier la branche sur laquelle ils sont confortablement assis, nos politiques préfèrent suivre prudemment la règle ancienne qui avait cours (notamment) chez les Romains : « panem et circenses ».
La vérité est que nous sommes beaucoup trop nombreux dans un monde conflictuel dont l’épuisement exponentiel et protéiforme n’annonce rien de bon pour les générations futures.
Alors, pas de solution ?
Si bien sûr, il y en a.
Au moins une : que les hommes deviennent responsables, conscients de la situation de leur planète et des efforts à faire pour la protéger elle et leur milieu de vie, qu’ils changent leur façon d’être au monde et que donc ils révisent de fond en comble leurs modèles notamment économiques, qu’ils adoptent la sobriété en tous domaines, qu’ils pratiquent la justice sociale.
Comme l’avait écrit Camus juste avant son décès, mettant le propos dans la bouche de son père (et dans un autre contexte), « un homme, ça s’empêche ».
C’est les vacances, on a bien le droit de rêver, n’est ce pas !
Jacques Lavergne
Septembre 2023
N°6
En cette rentrée littéraire, Jacques Lavergne fait un point sur ce monde si particulier qui est celui du livre et de ses acteurs, les auteurs bien sûr mais surtout l’ensemble des intervenants de la filière, dont le moins que l’on puisse dire est que tous ne sont pas véritablement au service de la belle littérature...
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
LIVRE, TON UNIVERS IMPITOYABLE
Le livre est devenu à lui seul un gigantesque univers souvent agité par des tempêtes et en tout état de cause reflet des travers, des dérives et parfois des bonheurs de notre société.
Et l’on en vient finalement à plaindre le consommateur final, ce lecteur que tout le monde s’arrache et qui est bien mal armé pour se retrouver dans ce maquis que constitue de nos jours le monde de l’édition. Il doit opérer un choix dans une mer de livres, jouer avec les moyens financiers qui sont les siens, pour beaucoup limités. Malheureusement peu de choses l’ont préparé à distinguer le bon grain de l’ivraie. Et certainement pas ses études tant l’éducation nationale est défaillante dans le domaine de la littérature quelle qu’elle soit et dans celui de l’appétence à la lecture. Le corps enseignant n’est bien sûr pas en cause, mais les gouvernements successifs oui, ainsi qu’également cette tendance de notre société à un laisser aller jouisseur. Et oui, lire nécessite quelques connaissances, du temps et aussi un effort personnel : autant de gros mots (ou de gros maux) de nos jours !
Comme tout autre produit de consommation courante, le livre est soumis à des politiques où la seule règle qui prédomine dans notre monde d’hier, d’aujourd’hui et certainement de demain est la suivante : faire du fric ! En faire toujours plus, et donc vendre, vendre, vendre, quelque soit la qualité du produit, et bien sûr avec le moins de moyens possible afin de dégager la plus importante marge qui soit.
Ce qui amène tout naturellement à se poser la question de savoir si un livre est une marchandise comme une autre, tel que l’est un paquet de pâtes ou de lessive. Poser la question, c’est bien sûr y répondre. Non, il n’est pas un produit banal, interchangeable, au contenu standard. Il est une production intellectuelle d’un être humain, a priori unique et destinée à provoquer chez son acheteur, son lecteur, plaisir, découverte, évasion, apprentissage, réflexions, connaissance, émotions, ouverture d’esprit, éventuellement contradictions, mais toujours accroissement intellectuel…
Remercions le Président Mitterrand et son emblématique ministre de la Culture, Jack Lang d’avoir imaginé et mis en place le prix unique du livre qui a permis de sanctuariser quelque peu le territoire de l’écrit et de l’édition. Et de lui apporter une protection bienvenue dans une société où règnent banalisation, affadissement, marchandisation à outrance de tout et de rien.
Mais le livre rencontre beaucoup d’obstacles voire même d’ennemis. Le premier d’entre eux étant l’écran, celui du smartphone, de la tablette, de l’ordinateur. Mais aussi d’une télévision où la qualité des programmes proposés devrait justement, en raison de leur scandaleuse médiocrité, ramener beaucoup d’entre nous vers la lecture. Et curieusement, c’est l’inverse qui se passe. Un phénomène qui pourrait paraître surprenant mais que les sociologues expliquent fort bien à commencer par Gérald Bronner dont je ne saurais trop recommander la lecture de l’un de ses derniers ouvrages, Apocalypse Cognitive aux éditions PUF. Un ouvrage clair, documenté mais qui laisse augurer des lendemains cognitifs qui ne chanteront pas.
Le deuxième s’appelle le grand capitaliste, celui qui, à la tête d’un groupe financièrement puissant, règne sur une multitude de sociétés dans les domaines les plus variés, et va ajouter à sa collection une ou plusieurs maisons d’édition. Bien sûr, il ne connaît rien à ce métier mais qu’importe, il les fera diriger par quelques mercenaires dument chapitrés, charge à eux de faire « cracher la bête » et/ou d’œuvrer afin qu’elle s’inscrive dans les vues politiques, sociales ou sociétales qui sont les siennes. Aucune connaissance ni amour de la littérature, le livre est pour lui un vecteur comme un autre servi par des salariés tenus bride courte, priés d’œuvrer silencieusement à fabriquer du bénéfice, et même à promouvoir les idées du patron, lesquelles la plupart du temps ne brillent ni par leur ouverture d’esprit ni par leur générosité. Beaucoup de nos grandes maisons d’éditions au nom et au passé prestigieux ne sont hélas plus que l’ombre d’elles-mêmes.
Le troisième ennemi se trouve dans le réseau de diffusion et de distribution. Les immenses plateformes qui s’y consacrent, enlèvent de la bouche le pain des libraires, des professionnels devenant rares et économiquement fragiles, bien souvent à la peine pour financer un stock important et qui doivent donc opérer des choix sans toujours pouvoir en apprécier la portée. En effet, face au tsunami que constituent les rentrées littéraires, avec plus ou moins 500 livres arrivant sur le marché à chacune de celles-ci, le commerçant doit opérer des choix. Un stock coûte cher, il faut de la place et surtout il doit tourner vite, les impératifs de rentabilité sont impitoyables. Seront donc avantagés en général les livres bénéficiant à tort ou raison d’un battage médiatique, ceux écrits par des personnalités en vue ou sortis de grandes maisons d’éditions. Celles-là même qui ont réputation et puissance de feu en matière de communication et de diffusion. Là aussi, la rentabilité est plus que jamais le maître mot : c’est pour le libraire, cela ou fermer. Bonjour la quantité, adieu la qualité : d’excellents textes vont ainsi rester inconnus ; des platitudes mal rédigées vont être portées au pinacle. Dès lors difficile de faire la part belle à des pépites littéraires souvent issues de petites ou moyennes maisons d’éditions, souvent provinciales.
Et sur celles-ci, il y aurait beaucoup de choses à dire : certaines ne sont-elles pas le quatrième ennemi du livre ? Car l’édition est un vrai métier, exigeant et complexe. Trop de ces maisons sont aux mains de gens qui se parfument du titre d’éditeur mais qui n’ont aucune qualité pour y prétendre. Venant de l’imprimerie, du commerce ou de la distribution, ils trouvent là une certaine rente de situation pour autant qu’ils soient de prudents gestionnaires. Dame, tant de gens ont en effet le prurit de l’écriture et sont en recherche frénétique d’une maison d’édition, qu’être accueilli dans une de celle-ci abolit complétement leur jugement quant à ses qualités professionnelles. Car chaque écrivain en herbe, voire même confirmé pour certains, ne rêvent que d’une chose : voir son nom imprimé sur une couverture ; se dire auteur, écrivain, romancier ; être invité dans des salons du livre où ils paraderont avantageusement sous leur photo et les affiches grands formats vantant leurs éminents mérites qu’ils se sont auto fabriquées.
Las, que sont donc bon nombre de sociétés se disant éditrices, et finissant d’ailleurs par y croire elles-mêmes ? Uniquement des prestataires de services dont le rôle se limite à élaborer une première de couverture, à assurer correction (pas toujours bien exécutée) et impression du manuscrit, puis à diffuser le produit fini de façon imparfaite, limitée, maladroite, insatisfaisante toujours. Autrement dit, beaucoup d’auteurs, souvent de qualité et porteurs de textes et d’histoires très honorables, pratiquent sans vouloir le voir, rien moins qu’une auto édition améliorée.
Des pseudos éditeurs qui travaillent l’œil fixé sur les chiffres de vente de leurs poulains, qui sont en réalité leurs clients, mais des clients à qui, paradoxalement, ils demandent de faire partiellement le travail qui leur est dévolu mais qu’ils ne réalisent pas. Intéressant système qui consiste à faire faire le boulot par celui qui en réalité vous l’a confié, et à sanctionner le donneur d’ordre/client en raison des carences du prestataire !
Il faut être clair : l’éditeur a un vrai et gros travail à effectuer auprès de son auteur.
D’abord en ce qui concerne la rigueur et la qualité des textes, donc sur l’accompagnement de son romancier tout au long de son travail solitaire d’écriture. Un éditeur est aussi, ou devrait être, un premier lecteur et un conseiller. Une maison d’édition se construit sur sa réputation, son image, sur la construction d’une ligne éditoriale reconnue par les lecteurs. Elle n’est pas là uniquement pour assurer l’intendance de la production matérielle d’un livre et son expédition dans quelques points de vente.
Sinon, l’on tombe vite dans les travers de l’auto édition, une pratique assez détestable, tant l’éditeur – le vrai - est indispensable à la construction d’un livre ; mais effectivement encore faut-il qu’il remplisse pleinement cette fonction. Et là…
Une image forte d’une maison d’édition se bâtit dans le temps, son catalogue doit refléter son positionnement original et ses qualités d’exigence. Elle doit impérativement fidéliser ses auteurs qui sont sa richesse, ce qui signifie avoir avec eux un véritable partenariat humain et de travail, tout au long de ce qui doit être une collaboration attentive.
Autrement dit, un impératif qualitatif de l’éditeur, une vraie présence auprès de son auteur, dont il doit parfois dégonfler l’égo, tout en étant son soutien dans cet exercice solitaire qu’est l’écriture.
Peut-être faut-il publier moins de livres lorsque l’on a une surface économique modeste, mais qu’ils soient de qualité, connus et reconnus comme tels, impérativement diffusés et distribués largement. Le chiffre d’affaires n’en sera pas affecté, au contraire, le résultat financier non plus. Et le vendeur libraire ou autre sera plus réceptif aux arguments du représentant de la maison d’édition.
Laquelle, suivant cette politique acquerra une vraie valeur patrimoniale et un positionnement fort qui fera son attractivité et sa réputation dans le paysage littéraire
Le second travail fondamental de l’éditeur est de s’assurer que son auteur va bien rencontrer son public.
Et pour ce faire, la première des conditions vraiment essentielle, incontournable, pour qu’une personne achète un livre est qu’elle le trouve physiquement, qu’elle le voit, qu’elle le prenne en main, qu’elle soit attirée par sa première de couverture et son titre (d’où d’ailleurs l’importante phase qu’est l’élaboration de ceux-ci).
Ou que le libraire/vendeur le lui conseille, voire le mette en avant.
Ce qui implique à l’évidence là aussi que le livre soit présent sur le lieu de vente !!!
Presque une lapalissade, mais qu’il faut rappeler tant cette réflexion de bon sens paraît oubliée par beaucoup.
D’où l’absolue importance de la diffusion et de la distribution.
Dès lors, un éditeur qui assure peu ou mal celle-ci ne saurait se plaindre que le livre ne se vende pas ou en quantité insuffisante ; la qualité et l’attractivité de celui-ci ne saurait être mise en cause. On entend trop « un tel ne se vend pas » ; certes, mais qu’as-tu fait pour le faire connaître, cher éditeur ? Es-tu sûr d’avoir réellement accompli ton job ?
Le travail de l’auteur, c’est d’écrire, le mieux possible, de faire œuvre de créativité, d’originalité, de qualité littéraire.
Ensuite, mais seulement ensuite, c’est d’aller défendre son ouvrage dans différents salons et points de vente. Mais pour autant que l’éditeur ait là aussi fait sa besogne et lui en ait ouvert les portes. Ce qui n’exclue pas que le romancier fasse aussi fonctionner ses réseaux personnels.
Quoiqu’il en soit, ce travail de diffusion ne lui appartient pas en premier, il ne vient qu’en appoint de l’action commerciale de l’éditeur.
Un auteur n’est ni un agent commercial ni un bateleur de foire.
Il appartient également à l’éditeur de donner à l’ouvrage de son auteur la plus grande couverture médias qui soit. Si l’on veut vendre un livre, l’on sait que quelques articles, quelques interviews, vont rapidement démultiplier les achats du livre. Il est vrai que ce n’est pas économiquement à la portée de toutes les maisons mais même les plus modestes ont intérêt à s’essayer à cet exercice, il y a aujourd’hui grâce à internet et aux réseaux sociaux des solutions financièrement abordables.
Il est évident que le lecteur n’a ni le don de double vue ni la science infuse. Il faut donc qu’il ait d’une façon ou d’une autre connaissance de l’existence de l’ouvrage et de ses qualités supposées, ou que – minimum minimorum, j’insiste – le livre soit présent dans un maximum de lieux de vente : et cela, c’est ce que l’éditeur doit à son auteur, et se doit à lui-même d’ailleurs puisque leurs intérêts, bien que de natures différentes, sont liés.
Faute d’appliquer ces principes, le pseudo éditeur se condamne à n’être qu’une société commerciale comme une autre, offrant à ces « abonnés auteurs » un service d’imprimerie spécialisé et de distribution étriquée de leurs ouvrages. Et donc à poursuivre ce qui n’est qu’une fuite en avant d’un chiffre d’affaires éphémère car assis sur le court terme et non sur une vraie politique éditoriale raisonnée et de qualité.
Si ces règles étaient appliquées, on trouverait peut-être moins de « daube » sur les tables des vendeurs, on abattrait moins d’arbres, on verrait moins d’écrivaillons qui se prennent pour des génies méconnus ou en puissance, des imprimeurs qui croient être éditeurs, il y aurait moins de confusion dans l’esprit des lecteurs noyés sous une avalanche de parutions médiocres, on leur ferait moins prendre des vessies pour des lanternes, on leur permettrait de se former un goût plus sûr et de distinguer le beau texte créatif de la banalité vulgaire et racoleuse.
L’édition est un vrai métier ; l’écriture est un vrai travail : aucun des deux ne s’improvisent. Ils nécessitent apprentissage, labeur obscur, énergie, humilité, temps, amour de la belle écriture, créativité, parfois intelligence si ce n’est don.
Des qualités que beaucoup qui croient appartenir au monde du livre n’ont pas reçues en partage. A l’occasion duquel ils n’ont eu qu’amour du fric –maladie universelle – et/ou dilation de l’ego.
Le parallèle avec la restauration s’impose : on veut moins de « bouffe » rapide, moins de pizzerias insipides et banalissimes ; et plus de chefs, étoilés ou pas, mais amoureux du métier et du produit !
Dans l’époque qui est la nôtre, il est impératif de rêver pour survivre…
Sans illusions bien sûr, mais avec toujours une once d’espoir.
Sic transit gloria mundi…
Jacques Lavergne / Esprit Occitanie / 5 septembre 2023
Commentaires(0)