Une nouvelle rubrique pour vous amis auditeurs afin de profiter de cette pause estivale pour se décrasser les neurones sans se prendre la tête ; une rubrique consacrée à des travaux et articles de fond, renseignés, documentés, abordant les sujets les plus divers ; une rubrique nourrie par nos producteurs-animateurs et nos partenaires qui ont laissé libre cours à leur plume…
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En cette rentrée littéraire, Jacques Lavergne fait un point sur ce monde si particulier qui est celui du livre et de ses acteurs, les auteurs bien sûr mais surtout l’ensemble des intervenants de la filière, dont le moins que l’on puisse dire est que tous ne sont pas véritablement au service de la belle littérature...
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LIVRE, TON UNIVERS IMPITOYABLE
Le livre est devenu à lui seul un gigantesque univers souvent agité par des tempêtes et en tout état de cause reflet des travers, des dérives et parfois des bonheurs de notre société.
Et l’on en vient finalement à plaindre le consommateur final, ce lecteur que tout le monde s’arrache et qui est bien mal armé pour se retrouver dans ce maquis que constitue de nos jours le monde de l’édition. Il doit opérer un choix dans une mer de livres, jouer avec les moyens financiers qui sont les siens, pour beaucoup limités. Malheureusement peu de choses l’ont préparé à distinguer le bon grain de l’ivraie. Et certainement pas ses études tant l’éducation nationale est défaillante dans le domaine de la littérature quelle qu’elle soit et dans celui de l’appétence à la lecture. Le corps enseignant n’est bien sûr pas en cause, mais les gouvernements successifs oui, ainsi qu’également cette tendance de notre société à un laisser aller jouisseur. Et oui, lire nécessite quelques connaissances, du temps et aussi un effort personnel : autant de gros mots (ou de gros maux) de nos jours !
Comme tout autre produit de consommation courante, le livre est soumis à des politiques où la seule règle qui prédomine dans notre monde d’hier, d’aujourd’hui et certainement de demain est la suivante : faire du fric ! En faire toujours plus, et donc vendre, vendre, vendre, quelque soit la qualité du produit, et bien sûr avec le moins de moyens possible afin de dégager la plus importante marge qui soit.
Ce qui amène tout naturellement à se poser la question de savoir si un livre est une marchandise comme une autre, tel que l’est un paquet de pâtes ou de lessive. Poser la question, c’est bien sûr y répondre. Non, il n’est pas un produit banal, interchangeable, au contenu standard. Il est une production intellectuelle d’un être humain, a priori unique et destinée à provoquer chez son acheteur, son lecteur, plaisir, découverte, évasion, apprentissage, réflexions, connaissance, émotions, ouverture d’esprit, éventuellement contradictions, mais toujours accroissement intellectuel…
Remercions le Président Mitterrand et son emblématique ministre de la Culture, Jack Lang d’avoir imaginé et mis en place le prix unique du livre qui a permis de sanctuariser quelque peu le territoire de l’écrit et de l’édition. Et de lui apporter une protection bienvenue dans une société où règnent banalisation, affadissement, marchandisation à outrance de tout et de rien.
Mais le livre rencontre beaucoup d’obstacles voire même d’ennemis. Le premier d’entre eux étant l’écran, celui du smartphone, de la tablette, de l’ordinateur. Mais aussi d’une télévision où la qualité des programmes proposés devrait justement, en raison de leur scandaleuse médiocrité, ramener beaucoup d’entre nous vers la lecture. Et curieusement, c’est l’inverse qui se passe. Un phénomène qui pourrait paraître surprenant mais que les sociologues expliquent fort bien à commencer par Gérald Bronner dont je ne saurais trop recommander la lecture de l’un de ses derniers ouvrages, Apocalypse Cognitive aux éditions PUF. Un ouvrage clair, documenté mais qui laisse augurer des lendemains cognitifs qui ne chanteront pas.
Le deuxième s’appelle le grand capitaliste, celui qui, à la tête d’un groupe financièrement puissant, règne sur une multitude de sociétés dans les domaines les plus variés, et va ajouter à sa collection une ou plusieurs maisons d’édition. Bien sûr, il ne connaît rien à ce métier mais qu’importe, il les fera diriger par quelques mercenaires dument chapitrés, charge à eux de faire « cracher la bête » et/ou d’œuvrer afin qu’elle s’inscrive dans les vues politiques, sociales ou sociétales qui sont les siennes. Aucune connaissance ni amour de la littérature, le livre est pour lui un vecteur comme un autre servi par des salariés tenus bride courte, priés d’œuvrer silencieusement à fabriquer du bénéfice, et même à promouvoir les idées du patron, lesquelles la plupart du temps ne brillent ni par leur ouverture d’esprit ni par leur générosité. Beaucoup de nos grandes maisons d’éditions au nom et au passé prestigieux ne sont hélas plus que l’ombre d’elles-mêmes.
Le troisième ennemi se trouve dans le réseau de diffusion et de distribution. Les immenses plateformes qui s’y consacrent, enlèvent de la bouche le pain des libraires, des professionnels devenant rares et économiquement fragiles, bien souvent à la peine pour financer un stock important et qui doivent donc opérer des choix sans toujours pouvoir en apprécier la portée. En effet, face au tsunami que constituent les rentrées littéraires, avec plus ou moins 500 livres arrivant sur le marché à chacune de celles-ci, le commerçant doit opérer des choix. Un stock coûte cher, il faut de la place et surtout il doit tourner vite, les impératifs de rentabilité sont impitoyables. Seront donc avantagés en général les livres bénéficiant à tort ou raison d’un battage médiatique, ceux écrits par des personnalités en vue ou sortis de grandes maisons d’éditions. Celles-là même qui ont réputation et puissance de feu en matière de communication et de diffusion. Là aussi, la rentabilité est plus que jamais le maître mot : c’est pour le libraire, cela ou fermer. Bonjour la quantité, adieu la qualité : d’excellents textes vont ainsi rester inconnus ; des platitudes mal rédigées vont être portées au pinacle. Dès lors difficile de faire la part belle à des pépites littéraires souvent issues de petites ou moyennes maisons d’éditions, souvent provinciales.
Et sur celles-ci, il y aurait beaucoup de choses à dire : certaines ne sont-elles pas le quatrième ennemi du livre ? Car l’édition est un vrai métier, exigeant et complexe. Trop de ces maisons sont aux mains de gens qui se parfument du titre d’éditeur mais qui n’ont aucune qualité pour y prétendre. Venant de l’imprimerie, du commerce ou de la distribution, ils trouvent là une certaine rente de situation pour autant qu’ils soient de prudents gestionnaires. Dame, tant de gens ont en effet le prurit de l’écriture et sont en recherche frénétique d’une maison d’édition, qu’être accueilli dans une de celle-ci abolit complétement leur jugement quant à ses qualités professionnelles. Car chaque écrivain en herbe, voire même confirmé pour certains, ne rêvent que d’une chose : voir son nom imprimé sur une couverture ; se dire auteur, écrivain, romancier ; être invité dans des salons du livre où ils paraderont avantageusement sous leur photo et les affiches grands formats vantant leurs éminents mérites qu’ils se sont auto fabriquées.
Las, que sont donc bon nombre de sociétés se disant éditrices, et finissant d’ailleurs par y croire elles-mêmes ? Uniquement des prestataires de services dont le rôle se limite à élaborer une première de couverture, à assurer correction (pas toujours bien exécutée) et impression du manuscrit, puis à diffuser le produit fini de façon imparfaite, limitée, maladroite, insatisfaisante toujours. Autrement dit, beaucoup d’auteurs, souvent de qualité et porteurs de textes et d’histoires très honorables, pratiquent sans vouloir le voir, rien moins qu’une auto édition améliorée.
Des pseudos éditeurs qui travaillent l’œil fixé sur les chiffres de vente de leurs poulains, qui sont en réalité leurs clients, mais des clients à qui, paradoxalement, ils demandent de faire partiellement le travail qui leur est dévolu mais qu’ils ne réalisent pas. Intéressant système qui consiste à faire faire le boulot par celui qui en réalité vous l’a confié, et à sanctionner le donneur d’ordre/client en raison des carences du prestataire !
Il faut être clair : l’éditeur a un vrai et gros travail à effectuer auprès de son auteur.
D’abord en ce qui concerne la rigueur et la qualité des textes, donc sur l’accompagnement de son romancier tout au long de son travail solitaire d’écriture. Un éditeur est aussi, ou devrait être, un premier lecteur et un conseiller. Une maison d’édition se construit sur sa réputation, son image, sur la construction d’une ligne éditoriale reconnue par les lecteurs. Elle n’est pas là uniquement pour assurer l’intendance de la production matérielle d’un livre et son expédition dans quelques points de vente.
Sinon, l’on tombe vite dans les travers de l’auto édition, une pratique assez détestable, tant l’éditeur – le vrai - est indispensable à la construction d’un livre ; mais effectivement encore faut-il qu’il remplisse pleinement cette fonction. Et là…
Une image forte d’une maison d’édition se bâtit dans le temps, son catalogue doit refléter son positionnement original et ses qualités d’exigence. Elle doit impérativement fidéliser ses auteurs qui sont sa richesse, ce qui signifie avoir avec eux un véritable partenariat humain et de travail, tout au long de ce qui doit être une collaboration attentive.
Autrement dit, un impératif qualitatif de l’éditeur, une vraie présence auprès de son auteur, dont il doit parfois dégonfler l’égo, tout en étant son soutien dans cet exercice solitaire qu’est l’écriture.
Peut-être faut-il publier moins de livres lorsque l’on a une surface économique modeste, mais qu’ils soient de qualité, connus et reconnus comme tels, impérativement diffusés et distribués largement. Le chiffre d’affaires n’en sera pas affecté, au contraire, le résultat financier non plus. Et le vendeur libraire ou autre sera plus réceptif aux arguments du représentant de la maison d’édition.
Laquelle, suivant cette politique acquerra une vraie valeur patrimoniale et un positionnement fort qui fera son attractivité et sa réputation dans le paysage littéraire
Le second travail fondamental de l’éditeur est de s’assurer que son auteur va bien rencontrer son public.
Et pour ce faire, la première des conditions vraiment essentielle, incontournable, pour qu’une personne achète un livre est qu’elle le trouve physiquement, qu’elle le voit, qu’elle le prenne en main, qu’elle soit attirée par sa première de couverture et son titre (d’où d’ailleurs l’importante phase qu’est l’élaboration de ceux-ci).
Ou que le libraire/vendeur le lui conseille, voire le mette en avant.
Ce qui implique à l’évidence là aussi que le livre soit présent sur le lieu de vente !!!
Presque une lapalissade, mais qu’il faut rappeler tant cette réflexion de bon sens paraît oubliée par beaucoup.
D’où l’absolue importance de la diffusion et de la distribution.
Dès lors, un éditeur qui assure peu ou mal celle-ci ne saurait se plaindre que le livre ne se vende pas ou en quantité insuffisante ; la qualité et l’attractivité de celui-ci ne saurait être mise en cause. On entend trop « un tel ne se vend pas » ; certes, mais qu’as-tu fait pour le faire connaître, cher éditeur ? Es-tu sûr d’avoir réellement accompli ton job ?
Le travail de l’auteur, c’est d’écrire, le mieux possible, de faire œuvre de créativité, d’originalité, de qualité littéraire.
Ensuite, mais seulement ensuite, c’est d’aller défendre son ouvrage dans différents salons et points de vente. Mais pour autant que l’éditeur ait là aussi fait sa besogne et lui en ait ouvert les portes. Ce qui n’exclue pas que le romancier fasse aussi fonctionner ses réseaux personnels.
Quoiqu’il en soit, ce travail de diffusion ne lui appartient pas en premier, il ne vient qu’en appoint de l’action commerciale de l’éditeur.
Un auteur n’est ni un agent commercial ni un bateleur de foire.
Il appartient également à l’éditeur de donner à l’ouvrage de son auteur la plus grande couverture médias qui soit. Si l’on veut vendre un livre, l’on sait que quelques articles, quelques interviews, vont rapidement démultiplier les achats du livre. Il est vrai que ce n’est pas économiquement à la portée de toutes les maisons mais même les plus modestes ont intérêt à s’essayer à cet exercice, il y a aujourd’hui grâce à internet et aux réseaux sociaux des solutions financièrement abordables.
Il est évident que le lecteur n’a ni le don de double vue ni la science infuse. Il faut donc qu’il ait d’une façon ou d’une autre connaissance de l’existence de l’ouvrage et de ses qualités supposées, ou que – minimum minimorum, j’insiste – le livre soit présent dans un maximum de lieux de vente : et cela, c’est ce que l’éditeur doit à son auteur, et se doit à lui-même d’ailleurs puisque leurs intérêts, bien que de natures différentes, sont liés.
Faute d’appliquer ces principes, le pseudo éditeur se condamne à n’être qu’une société commerciale comme une autre, offrant à ces « abonnés auteurs » un service d’imprimerie spécialisé et de distribution étriquée de leurs ouvrages. Et donc à poursuivre ce qui n’est qu’une fuite en avant d’un chiffre d’affaires éphémère car assis sur le court terme et non sur une vraie politique éditoriale raisonnée et de qualité.
Si ces règles étaient appliquées, on trouverait peut-être moins de « daube » sur les tables des vendeurs, on abattrait moins d’arbres, on verrait moins d’écrivaillons qui se prennent pour des génies méconnus ou en puissance, des imprimeurs qui croient être éditeurs, il y aurait moins de confusion dans l’esprit des lecteurs noyés sous une avalanche de parutions médiocres, on leur ferait moins prendre des vessies pour des lanternes, on leur permettrait de se former un goût plus sûr et de distinguer le beau texte créatif de la banalité vulgaire et racoleuse.
L’édition est un vrai métier ; l’écriture est un vrai travail : aucun des deux ne s’improvisent. Ils nécessitent apprentissage, labeur obscur, énergie, humilité, temps, amour de la belle écriture, créativité, parfois intelligence si ce n’est don.
Des qualités que beaucoup qui croient appartenir au monde du livre n’ont pas reçues en partage. A l’occasion duquel ils n’ont eu qu’amour du fric –maladie universelle – et/ou dilation de l’ego.
Le parallèle avec la restauration s’impose : on veut moins de « bouffe » rapide, moins de pizzerias insipides et banalissimes ; et plus de chefs, étoilés ou pas, mais amoureux du métier et du produit !
Dans l’époque qui est la nôtre, il est impératif de rêver pour survivre…
Sans illusions bien sûr, mais avec toujours une once d’espoir.
Sic transit gloria mundi…
Jacques Lavergne / Esprit Occitanie / 5 septembre 2023
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