L'Editorial du 15 Mai 2023
L’eau douce, un bien primordial en voie de raréfaction
Sans eau pas de vie, nous sommes tous des enfants de l’eau qui nous compose à 70 %. Or cette eau douce se fait rare, une tendance qui va s’accélérer dans les mois et années à venir. En cause, le réchauffement de la planète qui bouleverse les grands équilibres du climat, des grands équilibres qui ont permis à la vie de s’épanouir sur la planète depuis des millénaires. Certaines régions qui avaient peu d’eau en auront encore moins ; d’autres qui en avaient beaucoup en auront encore plus. Les lacs s’amenuisent ou disparaissent, les sols se dessèchent en profondeur, ils sont souvent épuisés et ne peuvent plus fixer l’eau, des déserts apparaissent. Bien évidemment la cause de ces désordres est clairement identifiée et documentée, c’est l’action de l’homme. Le château de carte du climat où tout est interdépendant est en train, par sa faute, de s’écrouler.
Autre facteur d’inquiétude la pression démographique qui s’accroit, jointe à la concentration de population dans les villes. La ressource devient rare et la demande, parfois très localisée, plus importante. Dès lors, les tensions deviennent de plus en plus fréquentes, voire violentes. Si le pétrole – sa localisation, sa propriété, son extraction, son transport, son utilisation – peut expliquer la majeure partie de la géopolitique des 130 dernières années, l’eau pourrait bien être la cause des grands conflits géopolitiques qui vont agiter et modeler le monde du 21ème siècle.
On parle aujourd’hui de pays hydrodominés, hydrodominants, hydrosuffisants, d’hydrodiplomatie. La ressource en eau douce est très inégalement répartie, aucun être humain ne pouvant vivre sans, les crises sont inévitables. Les fleuves et rivières sont de plus en plus mis à contribution, exploités – pour ne pas écrire pillés - comme jamais. La plupart sont transfrontaliers et traversent donc plusieurs pays. Les habitants de ceux d’amont bâtissent des barrages qui pénalisent ceux d’aval en les privant d’une ressource indispensable ; sans parler du désarroi des habitants des deltas doublement pénalisés puisque la raréfaction d’eau douce ne permet plus de combattre la salinisation de leurs territoires.
La planète va souffrir, la nature va être transformée, les êtres humains vont connaître des lendemains extrêmement difficiles. En effet, sans eau, avec au surplus des températures en augmentation comment s’hydrater pour autant qu’elle ne soit pas polluée (autre problème, certains fleuves comme le Gange, pour ne citer que lui, sont des poubelles à ciel ouvert), pas d’agriculture, pas de mines, pas d’énergie notamment électrique. Et en France, par exemple, plus de refroidissement des centrales nucléaires, d’où une fragilisation du programme nucléaire. Mais aussi, sans eau, plus d’assainissement d’où choléra et autres maladies hydriques.
Les russes qui bombardent les ouvrages hydrauliques ukrainiens –installations vitales pour les populations civiles - en violation totale des accords de Genève de 1949 et des protocoles additionnels de 1977 - savent parfaitement ce qu’ils font. Un pur scandale, un de plus. L’eau est devenue une véritable arme de guerre, une composante stratégique des opérations militaires un peu partout dans le monde : on peut en priver des ennemis, on peut aussi les inonder. Certains ne s’en privent pas, et curieusement (!) ce sont toujours les mêmes espèces d’hommes qui recourent à cette arme : potentats, dictateurs et autres salopards dont le club mondial est malheureusement bien fourni.
Beaucoup cherchent à se l’approprier à leur profit exclusif – pays, mais aussi particuliers ou professionnels tels certains exploitants agricoles (voir par exemple, mais ce n’est pas le seul, le problème des méga bassines). Alors qu’il s’agit d’un bien commun que les hommes se doivent de protéger, gérer et répartir équitablement, et surtout le faire à des coûts représentant sa vraie valeur : être un bien commun ne signifie nullement la gratuité de celui-ci. La rareté oblige à une réflexion approfondie sur l’utilisation et l’attribution équitable de l’eau. Rien ne se bâtira de façon pérenne qui ne soit inspiré par la justice, notamment sociale.
Il va falloir envisager de changer profondément notre mode de vie et le fonctionnement de nos sociétés. Comme l’écrit justement le professeur en science politique de l’université de Bordeaux, Patrick Chastenet, « il est impossible de croire au bien fondé d’une politique qui promet à la fois la croissance et la sobriété, le capitalisme sauvage et la préservation de la nature, le développement illimité et la sauvegarde de la planète, bref, le même et son contraire. »
Qui l’emportera de la folie de certains humains ou de la sagesse d’autres ? De la réponse à cette question dépendra peut-être la survie déjà bien problématique de notre espèce…
Jacques Lavergne / Esprit Occitanie / Les Masseries, le 15 mai 2023
Ecouter sur ESPRIT OCCITANIE le cycle des émissions Arcania dédié à l’eau douce: émissions ARCANIA
L'Editorial du 08 Avril 2023
Une écorne de plus à la démocratie ?
La philosophe Elsa Dorlin (professeur à l’université Toulouse-Jean-Jaurès), dans un article de l’hebdo le 1 (N°439), a résumé la situation ainsi : « la démocratie a toujours reposé sur une conflictualité que l’idéologie néolibérale cherche à passer sous silence pour laisser croire qu’il n’y d’autre alternative que la marche vers le « progrès »………. « et lorsque la conflictualité ne peut plus être ignorée, elle est rendue sale et menaçante, elle est marginalisée et criminalisée ».
Observer le déroulement des manifestations depuis quelques années amène à s’interroger sur l’exercice du droit de manifester, un droit fondamental dans une démocratie. C'est le décret-loi du 23 octobre 1935 qui fixe, pour la première fois, une réglementation d'ensemble sur l'action de manifester sur la voie publique. Ses dispositions sont désormais intégrées au code de la sécurité intérieure. Fort bien, mais pour autant, tout n’est-il pas mis en œuvre aujourd’hui dans ce pays afin de dissuader la population de descendre dans la rue et d’exercer son droit imprescriptible de manifester. Comment cela ? Mais tout simplement en rendant les manifestations de rue suffisamment dangereuses pour que certains appréhendent de s’y risquer. A preuve, 53% des Français disent craindre d'aller manifester par peur d'être "victime de violences" (source : sondage YouGov/HuffPost cité par le magazine en ligne TTSO)
Il s’agit d’effrayer en exerçant une répression brutale avec des moyens surdimensionnés et des fonctionnaires surarmés[1], surentrainés dont l’action violente, parfois provocatrice, fait monter la tension, et par un effet mécanique d’entrainement, la violence engendre la violence. On créé ainsi une escalade laissant à penser d’une part que la rue est périlleuse, qu’il vaut donc mieux rester chez soi et que, d’autre part, les manifestants sont tous des casseurs au couteau entre les dents. Message soigneusement relayé par des politiques, dont le ministre de l’intérieur actuel, qui ne craignent ni l’outrance dans le propos, ni les déclarations volontairement erronées et provocatrices, ni de jouer avec certains mots ou concepts. Pitoyable tentative de manipulation des esprits : certains jouent sans vergogne avec le feu faisant preuve par là d’une inquiétante et clivante irresponsabilité.
Certes il est évident que des groupes violents, habitués à l’affrontement et équipés pour cela, se glisse systématiquement dans les cortèges avec une intention évidente : en découdre avec les forces de l’ordre et saccager tout ce qui peut l’être. Une minorité cependant même si violente, déterminée et organisée. Une minorité qui brouille et occulte le message de la foule rassemblée et quelque part lui vole l’expression de son mécontentement. Une minorité nihiliste qui ne porte aucun intérêt aux revendications exprimées dans la rue. Mais une minorité qui permet aux tenants du pouvoir de répondre à la violence par la violence de façon indiscriminée et de la pratiquer d’une façon dite légitime puisque exercée par l’Etat, une espèce de censure du message porté par la foule qui le décrédibilise de facto. Et en jouant la stratégie du pourrissement, message fort bien relayé par certains médias « bien intentionnés ».
L’occasion d’observer des pratiques policières bien loin de toute éthique républicaine, et même de la simple idée de Justice, où domine force brute, insultes racistes et homophobes, exactions diverses commises sous l’uniforme de robocops qui se croient tout permis. Et peut-être d’ailleurs c’est ce que justement le pouvoir attend d’eux. Mais il faut se garder de généraliser à l’ensemble d’un corps de fonctionnaires ce type de dérapage. Là aussi, une minorité déviante peut ternir un ensemble d’hommes et de femmes exerçant avec conscience et mesure un métier des plus complexes.
Aujourd’hui toutefois, une question se pose, très politique celle-là : en dehors du strict maintien de l’ordre public qui peut se pratiquer avec différentes méthodes[2] (voir par exemple comment opère la police allemande dans pareille circonstance, laquelle s’efforce - avec succès - de faire baisser la tension, pas de la susciter ou de l’exacerber comme en France), les forces de l’ordre ne sont-elles pas instrumentalisées au service de la carrière politique de certains, tel par exemple le ministre actuel de l’intérieur qui joue manifestement une carte personnelle, avec bien sûr l’approbation d’une première ministre et d’un Président acculés dans une impasse politique ?
Notre pays connait un problème majeur qui n’est d’ailleurs pas propre à la France : nous avons pléthore de politiciens, pas mal de politicards, mais aucun Homme d’Etat, soucieux de la chose publique, du dialogue constructif entre les Français et leurs représentants. Et surtout porteur d’une ambitieuse vison d’avenir à long terme susceptible d’entrainer une dynamique fédérative.
L’occasion de citer le regretté Pierre Desproges « Nous n’avons plus de grands hommes mais des petits qui grenouillent et sautillent de droite et de gauche avec une sérénité dans l’incompétence qui force le respect. »
Jacques Lavergne , 8 avril 2023, pour Esprit Occitanie.
L'Editorial du 19 mars 2023
« Je cherche un homme » (1)
Un Président de la République se doit d’être avant tout un rassembleur à l’écoute des Français, connaissant bien et ceux-ci et le pays de France. Il se doit d’écouter, de communiquer, d’éclairer le chemin, de donner à la population tous les éléments de nature à lui permettre de mesurer les enjeux, de tout mettre en œuvre afin de la convaincre de la justesse de sa politique.
Ce qui implique de ne mépriser personne, d’entendre les corps intermédiaires et d’éviter les basses manœuvres politiciennes sentant par trop l’arrière boutique politicarde. Courage, humilité, détermination, empathie, hauteur de vue et proximité avec ses concitoyens. Oui, je sais, le portrait robot ainsi dessiné est un idéal jamais atteint par nos Présidents passés, même si certains s’en sont rapprochés sensiblement.
Aujourd’hui, force est de constater que le Président actuel, élu par peu de français dont beaucoup ont voté par défaut afin d’éviter le pire, est aux antipodes de cette figure idéale. Ce qui amène naturellement à se poser la question de savoir si Emmanuel Macron dispose de l’intelligence nécessaire à l’exercice de sa fonction. Et poser la question, c’est quasiment y répondre !
Lointain, ne connaissant ni le pays ni les Français, volontiers donneur de leçons (même à nos partenaires internationaux ce qui n’améliore pas l’image de la France), orgueilleux et raide, adepte de la décision et de l’action solitaire, sûr de lui et péremptoire, il gère le pays comme il le ferait d’un établissement bancaire. Comment un homme encore jeune peut-il agir selon des principes et des valeurs aussi datés ? Il nous a vendu durant sa campagne un monde politique nouveau, des promesses de changement d’attitude et de méthode. Il faut bien constater qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil macronien si ce ne sont une politique souvent erratique, des décisions prises à l’emporte-pièce, des réformes imposées à la hussarde qui divisent et affaiblissent le pays.
Et vers quoi et qui ira un Pays lassé et désabusé de la politique, inquiet de voir un monde et une société qu’il ne comprend plus, qui le fait vivre durement, même si comparé à beaucoup d’autres la France demeure un havre où il fait bon vivre ? A l’évidence comme d’autres se jeter dans les bras de femmes et d’hommes se vendant comme providentiels, aux idées simples voire simplistes, irréalistes et éculées, qui nous expliquent qu’avec eux le passé va ressurgir, que sous leur férule la vie sera douce, les dangers écartés, les étrangers qui viennent voler notre pain expulsés, bref que les lendemains chanteront à nouveau.
Foutaises dangereuses certes mais qui sonnent agréablement à l’oreille de Français, déboussolés, manipulés et perdus, qui préfèrent céder au chant délicat et trompeur de certaines sirènes plutôt que de voir la réalité en face, de tenter de la comprendre et d’agir en conséquence. Léthargie organisée et acceptée, laisser aller jouisseur sont les ennemis de la démocratie.
Où est la vision de l’avenir du Président Macron ? Quel récit de celui-ci nous a-t-il livré depuis son arrivée à l’Elysée ? Aucune et aucun : une gestion de boutiquier élitiste et lointaine en tient lieu. Comment faire face aux défis de ce 21ème siècle déjà bien entamé que sont l’injustice protéiforme, les inégalités sociales, les graves tensions géopolitiques, et surtout, surtout les grands risques que font courir à la planète et à nos civilisations le réchauffement climatique, les pollutions de tous ordres, l’épuisement des ressources naturelles, la raréfaction de l’eau, l’écroulement de la biodiversité ?
C’est peu de dire qu’il n’est pas l’homme de la situation ni de l’époque. Constatation qui nous amène naturellement à cette épineuse question : qui pour faire le job à sa place ou/et après lui ? A force d’avoir délaissé la politique, les Français – et ils ne sont pas les seuls dans ce cas – l’ont laissé aux mains de femmes et d’hommes qui prétendent mener le bal mais dont beaucoup sont loin d’avoir les qualités intellectuelles et humaines nécessaires, quant ils ne sont pas franchement médiocres. A une époque où les problèmes à surmonter sont aussi complexes que considérables, il est impératif de confier nos intérêts à des concitoyens compétents, éclairés, et disons le visionnaires.
Où sont-ils, car il en existe nécessairement ? Et aura-t-on la lucidité, s’il s’en trouve, de les soutenir, de nous réinvestir dans la réflexion et l’action politique, de prendre nos intérêts en mains ? Il faut l’espérer, sinon nous donnerons raison à Albert Einstein lorsqu’il écrivait que « le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui regardent sans rien faire ».
(1) Diogène de Sinope , 413-327 avant J.C.
Jacques Lavergne / Edito pour Esprit Occitanie / le 19 mars 2023
L'Editorial du 06 mars 2023
Parlons Justice !
Que ce soit dans le monde anglo-saxon ou dans la société française, dominés par l’utilitarisme[1] et la philosophie analytique, l’ouvrage de John RAWLS, « Théorie de la justice »[2], a suscité un choc et le débat dès sa publication.
À partir de 1962, John RAWLS, professeur à Harvard, se consacre tout particulièrement à la question de la justice et commence de construire un corpus théorique dédié à ses étudiants. Il y travaille sous l’angle d’une théorie globale.
Il propose de fait une nouvelle construction de l’idée de justice sociale. Il dépasse l’utilitarisme et s’approprie la pensée contractualiste du XVIIIème siècle.
Dans cette approche, il articule philosophie, politique et économie. D’aucuns y voient une possible approche socialiste dépassant le marxisme, quand d’autres y associent l’affirmation renouvelée du nécessaire État providence, sans qu’aucun des bords n’ait fondamentalement raison .... Le « nouveau contrat social » et moral proposé par Rawls, surtout conceptuel (il laisse la porte ouverte à l’opérationnalité) provoque une dynamique nouvelle de la pensée.
En 2021, ont été fêtés les 50 ans de la théorie rawlsienne[3]. Pourquoi un tel engouement ? Pourquoi ce livre traduit en 28 langues, devenu le livre de philosophie le plus cité et commenté du XXième siècle continue-t-il de faire mouche ?
Rawls pose le principe conceptuel d’une justice qui serait définie de façon pré-immanente à l’état de société. Décidée par les individus, ignorants de leurs conditions[4], cette justice est la « vertu première des Institutions sociales ». « Le droit n’est droit qu’autant qu’il protège et garantit la norme de justice et d’abord celle qui reconnaît la dignité de la personne humaine ». Les principes de la justices sont posés de la façon suivante :
§ Principe d’égalité dans l’attribution des droits et devoirs de base [5] « chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales qui soit compatible avec le même système pour les autres » ; ceci est prioritaire.
§ Principe de différence : les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon qu’à la fois : elles soient attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous dans des conditions de juste égalité des chances ET elles doivent être au plus grand avantage des membres les plus défavorisés de la société.
Plus que d’égalité, c’est d’équité dont parle Rawls. Il est attaché à la valeur équitable de la jouissance des droits et des libertés. Il refuse tout avantage issu d’inégalité de naissance comme il s’oppose à la méritocratie. Il soutient la démocratie constitutionnelle sans pour autant trancher sur ce que serait « réellement » celle-ci.
John Rawls va encore plus loin et complète sa réflexion en ajoutant deux autres principes : Le principe d’efficacité et le principe de redressement.
L’efficacité économique suppose l’esprit d’initiative. Il faut récompenser les efforts toutefois, le bien-être collectif doit primer sur l’efficacité.
Le principe de redressement, quant à lui, commande à une société juste de secourir les défavorisés de sorte qu’ils puissent bénéficier de l’égalité des chances. Il ne s’agit pas de faire la charité. Ce principe de redressement vise la justice, assure le fonctionnement optimal de la coopération et concourt par conséquent à l’avantage de tous les citoyens et à la fraternité.
La théorie de Rawls nous sert à questionner les enjeux actuels mais surtout la façon dont nous avons de les traiter. Nous croulons sous les textes législatifs, règlementaires que ce soit en droit national, européen ou même international. Les progrès dans toutes les sciences nous conduisent à des (r) évolutions techniques, culturelles … Sommes-nous certains que le Droit ne balaye pas la Justice d’un revers de main ?
Quelle appropriation du juste et du bien ? Quel regard sur l’appropriation de richesses internationales ? Quelles tensions entre Justice et communautés ? Comment appréhender les crises migratoires ? Comment combat-on l’inégalité de genre, la vulnérabilité ? Comment défendons-nous la protection sociale ?
En somme, peut-on réellement parler de Justice en ce début de XXIième siècle ?
Ne pas être d’accord sur ce qui devrait être un monde juste ne doit pas empêcher d’agir de façon urgente pour la réduction des injustices flagrantes.
Andrés Atenza
[1] L’utilitarisme affirme qu’une société juste est celle qui maximise la somme des utilités de ses membres ; l’utilité étant ici à entendre comme une « unité de bonheur ». Ses défendeurs sont Bentham, John Stuart Mill. Cette doctrine issue de la philosophie dite des Lumières se veut moderne, humaniste et altruiste.
[2] J Rawls, Théorie de la Justice, Cambridge, Massachusetts, EU, 1971. Première édition française en 1987.
[3] « Théorie de la justice 50 ans après, héritages et usages de Rawls » colloque Universités de droit Paris.
[4] Notion du « voile d’ignorance »
[5] Notion de « biens premiers »
L'Editorial du 26 février 2023
Tout est dans la méthode
Les Français ont à l’évidence tout à fait conscience de ce que monde et société se transforment. Et que dès lors, il est nécessaire de faire évoluer les structures de cette dernière, notamment en ce qui concerne le sujet du moment : les retraites.
Mais ce qu’ils ne veulent pas à juste titre, c’est se voir imposer à la hussarde une réforme touchant à un sujet aussi sensible concernant l’intime de chacun. Surtout lorsque celle qui leur est proposée – quasiment imposée surtout – leur paraît peu claire, génératrice d’injustices, politiquement partisane, aux finalités floues et pout tout dire passablement bricolée.
Le tout inséré dans un véhicule législatif inapproprié (qu’en dira le Conseil Constitutionnel ?) et contraignant, interdisant un débat riche et protéiforme par manque de temps, un temps gage de qualité pour l’élaboration d’un texte aussi essentiel.
Rappelons que les pays nordiques ont réglé cette question à l’unanimité, aux termes de travaux et de négociations qui ont durés dix ans ; nous en sommes loin !
Tout est dans la méthode.
On aurait pu espérer qu’au moins l’Assemblée Nationale serait le cadre d’échanges, sinon apaisés, du moins constructifs, ouvrant des pistes de réflexion, décortiquant les problématiques et chiffrant précisément les enjeux.
Malheureusement, au grand dam des syndicats, des partis de gouvernement et de ceux d’opposition, l’eux d’eux, LFI pour le nommer, a cru devoir adopter une attitude aussi négative que délétère : obstructions systématiques, tsunami d’amendements, insultes, violences verbales, chahuts inconséquents, bouffonneries stupides, inacceptables prises à partie des uns et des autres.
Résultat : un débat inexistant aboutissant au blocage stérile du système, une déconsidération d’une certaine idée de la politique, et au final un chèque en blanc à l’extrême droite qui n’en espérait pas tant. Oubliant certainement que la politique c’est certes une confrontation mais d’idées, ce sont des échanges sans concession, mais c’est aussi construire ensemble grâce au consensus. Le pourrissement systématique du débat montre à l’évidence que n’est pas femme ou homme politique qui veut, que certains partis ne saurait en aucun cas être prêts à gouverner !
Tout est dans la méthode.
Au milieu de toute cette agitation stérile, personne ne s’est avisé de lancer une réflexion sur la notion même de travail en ce début de XXIème, une notion nous le constatons tous les jours qui a fortement évoluée dans les têtes mais aussi dans les pratiques.
De même personne – ni dirigeant ni opposition - n’a pris en compte dans ce crucial débat que « nous ne sommes plus dans la situation où nous étions avant » et surtout que « nous avons changé de monde » pour citer le regretté philosophe Bruno Latour.
Et qu’en conséquences le travail, ses conditions, ses modes d’exercice vont être profondément modifiés par les bouleversements climatiques qui paraissent aujourd’hui inéluctables. Il est clair que le réchauffement climatique et ses conséquences auront sur les organismes de graves répercussions, que la pénibilité engendrée par certains métiers s’en trouvera accrue, que les espérances de vie en seront possiblement raccourcies.
Voire même que beaucoup d’équilibres économiques vont, sinon se dégrader, du moins se modifier profondément. Dès lors quel sera l’impact au niveau de nos systèmes de retraites dans vingt, trente ou quarante ans ? Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) n’aborde pas cette question ; le Président Macron non plus, mais il est vrai qu’il est loin d’avoir pris la mesure du phénomène (euphémisme !). Par contre l’OIT (Organisation internationale du travail) dans son rapport de décembre 2022 évoquait la « retraite anticipée » afin de prendre en compte les effets négatifs des changements de climat. Tout l’inverse de ce que l’on nous propose aujourd’hui qui est de travailler plus longtemps.
Et pour reprendre les propos de François Julliard, le directeur général de Greenpeace France : « On ne peut que combattre ce projet de réforme qui vise à faire travailler plus longtemps, à produire plus de biens, plus de consommation, plus de déchets, plus d’émission de gaz à effet de serre et plus de pression sur les ressources naturelles de la planète ». (cité dans l’excellent article consacré à cette question et dont je vous recommande la lecture sous la signature du journaliste du Monde Rémi Barroux,)
Il est donc temps de remettre sur le métier cette réforme, en prenant le temps d’en étudier soigneusement toutes les conséquences, de se projeter dans l’avenir, d’associer largement à cette réflexion partis politiques, syndicats, associations diverses, afin d’aboutir à un texte sérieux, réaliste, mesuré, évolutif, empreint de justice sociale et intégrant les problématiques posées par l’habitabilité de la Terre, concept aujourd’hui fondamental.
Tout est dans la méthode !
Jacques Lavergne / Esprit Occitanie / Les Masseries, le 26 février 2023
L'Editorial du 07 février 2023
« Farem tot petar…lèu »
Ne dit-on pas que c’est à la manière dont un pays traite les plus faibles des siens que l’on mesure son degré de civilisation ? A cette aune là, la France pourrait être qualifiée d’attardée voire de barbare si l’on considère le sort qu’elle réserve à ses anciens. Le mode de vie imposé par nos sociétés qui se croit « moderne » aux enfants et petits enfants ne permet plus à ceux-ci de conserver avec eux leurs vieux parents : cela nécessite de la disponibilité, des espaces de vie adaptés, et parfois tout simplement l’envie de partager l’existence – ce qui nécessite certains sacrifices que l’on a peut-être pas envie d’accomplir (pour de bonnes ou mauvaises raisons) – avec des personnes d’une autre génération.
La solution s’impose donc : les confier à des établissements spécialisés dont la gestion est assurée soit par des associations, soit par des collectivités locales, soit par l’initiative privée. C’est là que les difficultés commencent. Car le choix entre ces différentes solutions de gestion n’est pas toujours guidé par le critère qui devrait être le seul qui vaille : la qualité de vie, donc de soin et d’attention. Mais par la situation géographique, et le plus souvent par le niveau de ressources des parents, voire des enfants. Car la dépendance a un coût, lequel est loin d’être négligeable. La fin de vie est elle aussi marquée par les disparités sociales, les injustices, les types de revenus.
Rien de nouveau sous le soleil, très bien. Mais au moins en a-t-on pour son argent ? Autrement dit, le traitement réservé à nos parents et grands-parents est-il confortable et digne ? Et bien pas toujours, très loin s’en faut même si l’on en croit les récentes révélations sur la façon dont la firme Orpea traitait (et traite peut-être encore ses résidents). Révélations dont le détail figure dans l’excellent livre enquête Les Fossoyeurs paru chez Fayard sous la plume de Victor Castanet, journaliste courageux et intègre. On y apprend pour faire bref que les pensionnaires étaient victimes de mauvais traitements, très doux euphémisme. Et tout cela pour le plus grand profit des dirigeants de la firme, de ses cadres et bien sûr de ses actionnaires.
Mais gardons-nous de généraliser, il est des maisons de retraite au fonctionnement irréprochable dans la mesure des moyens financiers qui sont les leurs et des personnels dévoués, compétents, profondément empathiques.
Ce qui est ahurissant au cas particulier, c’est qu’il ait fallu une enquête journalistique pour porter sur la place publique ce que beaucoup savaient. A l’instar de ce qu’il se passe en matière de fraude fiscale, où les ressorts de l’évasion fiscale, les paradis fiscaux, le nom des fraudeurs se trouvent dévoilés par des consortium de journalistes. D’où la question : que fait l’Etat, à quoi sert l’administration de tutelle. Son inaction est aussi un des scandales de ce dossier : incompétence, laisser aller, compromission, médiocrité….Peut-être un peu de tout cela, on se perd en conjectures. On aimerait voir un peu plus de curiosité des services d’enquêtes sur cette question.
Autre scandale à présent : la suite de l’histoire. La firme Orpea se trouvant en grande difficultés financières, vers qui se tourne-t-on pour la redresser ou à tout le moins lui tenir la tête hors de l’eau ? Et bien à nous Mesdames, Messieurs, vous, moi et les autres. Sortez vos portefeuilles, il va falloir casquer ! Devant la faillite prévisible, la Caisse des Dépôts et Consignations, bras financier de l’Etat français, renforcée par CNP Assurances, MAIF et MACSF autrement dit des groupes mutualistes, vont assumer le coût de l’opération de restructuration en prenant la majorité du capital.
On connaît parfaitement cette vieille règle : socialisation des pertes et privatisation des bénéfices ! Formule peut-être éculée et facile ; certes l’on ne pouvait non plus laisser en déshérence résidents et salariés. Mais quand même, la pilule est un peu grosse à avaler : certains (les salauds sont partout) se sont gavés de façon indécente sur le dos de pauvres vieux affamés aux portes de la mort, aux escarres douloureuses et baignant dans leur merde. Et il nous revient maintenant à nous tous contribuables lambda, d’éponger les pertes…. Oh certes, l’action de la Justice permettra certainement de faire rendre gorge à quelques lampistes avides que les scrupules n’étouffaient pas.
Mais pour être franc, cela me laisse un peu sur ma faim. A cet instant, il me revient, je ne sais pourquoi, cette vieille formule occitane, farem tot petar….lèu !!!
Jacques Lavergne / Montfaucon / 6-2-23
L'Editorial du 16 janvier 2023
Les Français ne sont ni des Chinois, ni des enfants, ni des demeurés…
La France va se déchirer pendant des temps encore indéterminés sur la réforme des systèmes de retraite voulue par le Président de la République. Une réforme subie, imposée par un pouvoir qui joue sur la lassitude des Français préoccupés par d’autres problèmes du quotidien : guerre à nos portes, inflation, pouvoir d’achat, dégradation accélérée de la Planète. Un pouvoir qui pour être sûr de parvenir à ses fins – faute de majorité - se livrent à des tractations politiciennes avec d’autres partis – notamment Les Républicains - et transforme ainsi cette réforme en une basse manœuvre politicarde. Laquelle pourrait bien faire le lit de l’extrême droite.
Politique qui est de facto un repoussoir absolu pour 78 % de la population hostile à cette réforme. Un chiffre extrêmement élevé qui s’explique pour partie par un colossal déficit de pédagogie, d’explications, d’argumentation, de recherche de consensus dont il est vrai que celui-ci n’est pas une spécialité française, et encore moins celle d’E. Macron. Un chiffre qui s’explique aussi par le sentiment diffus mais persistant qui veut que cette réforme ne pèse pas sur tous les Français de la même manière, autrement dit que la justice et l’égalité n’ont pas été ses principes directeurs. Et de fait, elle sera indolore pour l’électorat habituel de Monsieur Macron, les cadres, les retraités, le patronat ; mais elle frappera les ouvriers et les employés ayant commencé tôt leur carrière.
Nous faisons pâle figure face à bon nombre de nos voisins européens qui ont procédé avec efficacité à de semblables réformes (allongement de la durée de cotisations, parfois baisse des pensions) sans déclencher pour autant des passions exacerbées. La Suède par exemple y a dédié une commission parlementaire composée de tous les partis politiques qui, après dix ans de travail (!), a adopté une réforme à l’unanimité. Mais il est vrai que nos voisins nordiques, notamment la Suède déjà évoquée et la Finlande, ont procédé à des réflexions globales sur le monde du travail, lesquelles les ont conduits à réformer profondément la formation, l’emploi, les conditions de travail.
Un exemple que nous devrions suivre, comme l’explique Bruno Palier, directeur de recherche CNRS à Sciences Po, interviewé par la magazine le 1 : « Plutôt que d’ajo
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