
03 juin 2023
L'Editorial du 03 Juin 2023
L’aporie des finances publics
La dette de la France attendra en 2023 les 3 000 milliards d’euros, une somme colossale dont la moitié est détenue par la Banque Centrale Européenne (BCE). Une dette qui représente aujourd’hui 111,6 % du PIB du pays ; une dette bien accrue par l’argent facile selon cette maxime présidentielle du « quoi qu’il en coûte » ; une dette que les épisodes d’abord du Covid, ensuite de la guerre d’Ukraine n’ont fait que creuser toujours et encore. Certes, d’autres pays ont été affectés eux aussi par ces mêmes événements, mais il avaient un passé financier bien moins lourd que le nôtre.
En effet, l’Etat français n’a plus présenté un budget à l’équilibre depuis 1974 ! Et l’on constate une forte accélération du déficit à partir des années 2 000. Les derniers Présidents à la manœuvre ont bien sûr contribué à cet accroissement : 635 milliards sous Nicolas Sarkozy, un quinquennat marqué par la crise financière ; la dette s’est ensuite creusée de 396 milliards avec François Hollande ; et la situation s’est détériorée de 700 milliards sous Emmanuel Macron, Covid (mais pas que..) oblige. Au sein de l’Europe, le taux moyen d’endettement se situe à 87 % du PIB. Mais cinq pays sont au-dessus de 110 % : Grèce, Italie, Portugal, Espagne et…. France. Mais dans la mesure où nous partageons la même monnaie, c’est toute la zone euro qui est impactée.
En lui-même cet endettement ne pose pas vraiment de problème au fonctionnement financier de la France : les créanciers conservent leur confiance à notre pays qui a jusqu’ici toujours honoré sa signature et dispose de solides garanties. Mais jusqu’à quand ? Il existe tout de même un bémol et pas n’importe lequel : l’augmentation des taux d’intérêts. L’argent facile et les taux d’intérêts nuls voire négatifs, c’est fini. Le dernier avertissement est venu très récemment du président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, qui a asséné que « nous ne pouvons pas vivre dans l'illusion d'une dette gratuite ».
Et effectivement, la note commence à devenir salée : ces intérêts sur la dette ont coûté à la puissance publique autour de « 35 milliards d'euros en 2021, et environ 50 milliards d'euros en 2022 », estime François Ecalle, ancien haut-fonctionnaire à la Cour des comptes, spécialiste des finances publiques qu'il décrypte sur son site de référence Fipeco. La charge d'intérêt va ainsi s'alourdir de 17 milliards d'euros supplémentaires cette année d'après Bruno Le Maire. (même pas ce que la pseudo réforme des retraites pourraient rapporter).« Et la hausse va continuer », prévient François Ecalle. L’agence de notation Fitch a dégradé la note de la France, ce qui ne va rien arranger en la matière et constitue un avertissement pour l’avenir.
Cela étant, cette situation affecte l’ensemble du monde, faisant de la dette un problème global et une question géopolitique. La dette mondiale croit rapidement avec une augmentation de 7,6 % en 2022, soit 66 000 milliards de dollars. Un montant dont la moitié est imputable aux Etats-Unis dont la dette équivaut à 120 % de son PIB. Face à l’endettement des Etats, mais également des entreprises et des particuliers ( 31 billions de dollars pour le Monde), se pose la question de savoir si l’on peut passer toute une vie à crédit.
Une des choses des plus surprenantes en pareille situation est que cette question n’est quasiment jamais abordée dans le débat public français. Pas plus qu’elle ne l’a été durant la campagne présidentielle. Et comment le serait-elle aujourd’hui puisque notre vie politique est passablement bloquée : un Président sans majorité parlementaire, une crise sociale aigue et permanente, un gouvernement à bout de souffle qui peine à exister. Idéalement et comme toujours en pareille circonstance, il conviendrait de diminuer les dépenses (madame Borne propose fort modestement 5% de celles-ci) et augmenter les recettes. Comment ? En augmentant les impôts : pas sûr que les français qui tirent déjà la langue l’accepteraient. En jouant sur la croissance ? Elle est en berne avec une prévision de 0,8 % en 2023.
Dans le même temps, nos services publics dans leur ensemble sont à l’os et nécessiteraient pas mal d’investissements ainsi qu’un travail de fond sur l’augmentation de leur efficacité. Concomitamment, il va falloir assurer au plus vite, le terriblement onéreux et incontournable financement de la transition écologique.
Comment déjà les grecs anciens appelaient-ils ce type de situation ? Une aporie me semble-t-il. Autrement dit, un problème insoluble et inévitable, une impasse dans un raisonnement procédant d'une logique. Une impasse dont il faudra bien sortir un jour. Pour autant encore faudrait-il y réfléchir et ne pas se polariser sur des questions secondaires ou inexistantes, ce que savent fort bien faire certains politiciens animés par de basses et méprisables calculs électoraux à courte vue.
La dette / Edito / Esprit Occitanie / 2 juin 2023/ J.L.
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