L'Editorial du 26 Juin 2023
LE BAL DES CORNUCOPIENS
Est cornucopien celui qui estime que les innovations technologiques (le progrès technologique) permettront à l'humanité de subvenir éternellement à ses besoins matériels, eux-mêmes considérés comme sources de progrès et de développement. Un qualificatif de cornucopien qui pourrait s’appliquer à certains de nos gouvernants, à commencer par le premier d’entre eux. Pour autant d’ailleurs qu’ils ne vivent pas dans le déni de la situation (la question se pose pour beaucoup encore), ou qu’ils s’y intéressent un tant soit peu, ou qu’ils aient une claire conscience de l’état actuel de la Planète et de l’avenir qui l’attend si nous poursuivons sur la trajectoire qui est la nôtre aujourd’hui. Dernière hypothèse dont la politique actuelle du gouvernement montre amplement que ce dernier n’a pas atteint cet état de connaissance.
Au vu des discours qui nous sont servis par nos dirigeants et de la politique qu’ils appliquent, on peut douter de leur volonté de mettre en œuvre les incontournables mesures qui nous permettront de maintenir sur le long terme nos civilisations à flot. La situation est des plus complexes, elle exige de grandes qualités de visionnaire, du caractère, du savoir faire, du savoir écouter, des aptitudes à la pédagogie envers les français, de l’humilité, un sens politique aigu et un amour des règles démocratiques. L’on conviendra sans peine que ce ne sont pas là des traits de caractère que l’on prête ordinairement à Monsieur Macron, qui pourtant va encore diriger l’Etat pendant quatre longues années alors même que le temps nous est compté et qu’il est impératif de mettre en place des mesures globales, cohérentes, impopulaires donc courageuses.
A sa décharge, il n’est pas le seul dirigeant de par le Monde à nous faire douter de sa compétence à nous mener à bon port. Mais l’on aurait pu attendre d’un homme jeune, qui a fait quelques études et qui possède quelques capacités cognitives, une approche beaucoup plus ouverte des graves problématiques qui travaillent la planète, et à tout le moins, faute de concevoir des politiques hardies et novatrices, une compréhension de celles-ci. Las, nous en sommes loin, très loin même. Cet encore jeune Président se comporte comme un vieux briscard obtus, pétri de certitudes, donneur de leçon urbi et orbi, quelque peu « monsieur je sais tout » et qui s’entoure bien mal. Mais comme de toutes façons il n’écoute personne, qu’il soit bien ou mal entouré change finalement peu de choses.
On peut illustrer le propos par quelques exemples récents. L’on a entendu au salon du Bourget des propos étonnants qui font totalement fi et de l’état de la Planète et de celui de la science. Non Monsieur Macron ou Madame la Commission européenne, l’aviation verte cela n’existe pas, inutile de lui donner un label vert même si cela fait frétiller d’aise le lobby des constructeurs aéronautiques et celui des compagnies aériennes qui caressent de vertigineuses perspectives commerciales. L’aviation fonctionne à 99 % au kérosène et émet mondialement près de deux fois plus de CO2 qu’un pays comme la France. Les solutions techniques envisagées, quelles qu’elles soient, ne sont pas au point et sont plombées par d’énormes handicaps. Et oui, Monsieur Macron, il faudra bien y venir à cette sobriété que vous moquez !
Non, Monsieur Macron, les « méga-bassines » ne sont pas une solution crédible technique à la sécheresse qui affecte la France (sécheresse pour laquelle vous n’avez rien prévu de sérieux pour la pallier), et au surplus ces dispositifs ne font que monopoliser une eau douce rare au profit de quelques uns. On ajoute l’injustice à l’inanité technique. N’écouter que la FNSEA, interlocuteur très privilégié (euphémisme) du ministère de l’Agriculture, ce « syndicat » ( ?) productiviste et défenseur d’une agriculture industrielle, ennemi du vivant de la nature et de la paysannerie, est une lourde erreur qui finira par coûter cher à la France. Et oui, Monsieur Macron, une réforme en profondeur de notre modèle agricole s’impose.
De même mener une politique où l’on se refuse à entendre des opinions divergentes, à parler, expliquer, communiquer de façon claire, intelligente et ouverte ne fait que crisper une partie de la population, voire radicaliser certains éléments énervés, et introduire entre les français des fossés qu’il sera difficile de combler. Quand cette attitude ne conduit pas à considérer les élus comme de commodes boucs émissaires sur lesquels certains décérébrés n’hésitent pas à passer leurs nerfs (cf. l’inacceptable agression récente du maire de Toulouse entre autres). Apaiser, rassembler, favoriser échanges et dialogue, convaincre ou se donner tous les moyens de le faire, calmer les excités de tout bord, voilà une des missions premières d’un Président de la République. Personne ne souhaite connaître dans notre pays la situation de blocage, voire de guerre civile larvée, qui est aujourd’hui celle des Etats Unis.
Cela passe aussi par brider les actions politiquement inconsidérées et à courte vue de certains ministres, plus occupés par leur carrière personnelle que par le bien du pays. La qualification « d’écoterroriste » stupide, gratuite, sans aucun fondement, n’est pas faite pour apaiser les esprits. Elle n’honore pas son auteur, petit politicien ambitieux mais sans envergure. De même, la dissolution de l’association, les « Soulèvements de la Terre », ne s’imposait nullement. Outre que la violence qui lui est reprochée n’est le fait que de quelques éléments minoritaires, il existe une Justice et un droit pénal parfaitement opérationnels pour en venir à bout. La démocratie est un régime délicat et fragile, inutile de le mettre en risque à tout bout de champ, car tant va la cruche à l’eau…
Pour Esprit Occitanie, Jacques Lavergne, le 24 juin 2023
L'Editorial du 03 Juin 2023
L’aporie des finances publics
La dette de la France attendra en 2023 les 3 000 milliards d’euros, une somme colossale dont la moitié est détenue par la Banque Centrale Européenne (BCE). Une dette qui représente aujourd’hui 111,6 % du PIB du pays ; une dette bien accrue par l’argent facile selon cette maxime présidentielle du « quoi qu’il en coûte » ; une dette que les épisodes d’abord du Covid, ensuite de la guerre d’Ukraine n’ont fait que creuser toujours et encore. Certes, d’autres pays ont été affectés eux aussi par ces mêmes événements, mais il avaient un passé financier bien moins lourd que le nôtre.
En effet, l’Etat français n’a plus présenté un budget à l’équilibre depuis 1974 ! Et l’on constate une forte accélération du déficit à partir des années 2 000. Les derniers Présidents à la manœuvre ont bien sûr contribué à cet accroissement : 635 milliards sous Nicolas Sarkozy, un quinquennat marqué par la crise financière ; la dette s’est ensuite creusée de 396 milliards avec François Hollande ; et la situation s’est détériorée de 700 milliards sous Emmanuel Macron, Covid (mais pas que..) oblige. Au sein de l’Europe, le taux moyen d’endettement se situe à 87 % du PIB. Mais cinq pays sont au-dessus de 110 % : Grèce, Italie, Portugal, Espagne et…. France. Mais dans la mesure où nous partageons la même monnaie, c’est toute la zone euro qui est impactée.
En lui-même cet endettement ne pose pas vraiment de problème au fonctionnement financier de la France : les créanciers conservent leur confiance à notre pays qui a jusqu’ici toujours honoré sa signature et dispose de solides garanties. Mais jusqu’à quand ? Il existe tout de même un bémol et pas n’importe lequel : l’augmentation des taux d’intérêts. L’argent facile et les taux d’intérêts nuls voire négatifs, c’est fini. Le dernier avertissement est venu très récemment du président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, qui a asséné que « nous ne pouvons pas vivre dans l'illusion d'une dette gratuite ».
Et effectivement, la note commence à devenir salée : ces intérêts sur la dette ont coûté à la puissance publique autour de « 35 milliards d'euros en 2021, et environ 50 milliards d'euros en 2022 », estime François Ecalle, ancien haut-fonctionnaire à la Cour des comptes, spécialiste des finances publiques qu'il décrypte sur son site de référence Fipeco. La charge d'intérêt va ainsi s'alourdir de 17 milliards d'euros supplémentaires cette année d'après Bruno Le Maire. (même pas ce que la pseudo réforme des retraites pourraient rapporter).« Et la hausse va continuer », prévient François Ecalle. L’agence de notation Fitch a dégradé la note de la France, ce qui ne va rien arranger en la matière et constitue un avertissement pour l’avenir.
Cela étant, cette situation affecte l’ensemble du monde, faisant de la dette un problème global et une question géopolitique. La dette mondiale croit rapidement avec une augmentation de 7,6 % en 2022, soit 66 000 milliards de dollars. Un montant dont la moitié est imputable aux Etats-Unis dont la dette équivaut à 120 % de son PIB. Face à l’endettement des Etats, mais également des entreprises et des particuliers ( 31 billions de dollars pour le Monde), se pose la question de savoir si l’on peut passer toute une vie à crédit.
Une des choses des plus surprenantes en pareille situation est que cette question n’est quasiment jamais abordée dans le débat public français. Pas plus qu’elle ne l’a été durant la campagne présidentielle. Et comment le serait-elle aujourd’hui puisque notre vie politique est passablement bloquée : un Président sans majorité parlementaire, une crise sociale aigue et permanente, un gouvernement à bout de souffle qui peine à exister. Idéalement et comme toujours en pareille circonstance, il conviendrait de diminuer les dépenses (madame Borne propose fort modestement 5% de celles-ci) et augmenter les recettes. Comment ? En augmentant les impôts : pas sûr que les français qui tirent déjà la langue l’accepteraient. En jouant sur la croissance ? Elle est en berne avec une prévision de 0,8 % en 2023.
Dans le même temps, nos services publics dans leur ensemble sont à l’os et nécessiteraient pas mal d’investissements ainsi qu’un travail de fond sur l’augmentation de leur efficacité. Concomitamment, il va falloir assurer au plus vite, le terriblement onéreux et incontournable financement de la transition écologique.
Comment déjà les grecs anciens appelaient-ils ce type de situation ? Une aporie me semble-t-il. Autrement dit, un problème insoluble et inévitable, une impasse dans un raisonnement procédant d'une logique. Une impasse dont il faudra bien sortir un jour. Pour autant encore faudrait-il y réfléchir et ne pas se polariser sur des questions secondaires ou inexistantes, ce que savent fort bien faire certains politiciens animés par de basses et méprisables calculs électoraux à courte vue.
La dette / Edito / Esprit Occitanie / 2 juin 2023/ J.L.
L'Editorial du 15 Mai 2023
L’eau douce, un bien primordial en voie de raréfaction
Sans eau pas de vie, nous sommes tous des enfants de l’eau qui nous compose à 70 %. Or cette eau douce se fait rare, une tendance qui va s’accélérer dans les mois et années à venir. En cause, le réchauffement de la planète qui bouleverse les grands équilibres du climat, des grands équilibres qui ont permis à la vie de s’épanouir sur la planète depuis des millénaires. Certaines régions qui avaient peu d’eau en auront encore moins ; d’autres qui en avaient beaucoup en auront encore plus. Les lacs s’amenuisent ou disparaissent, les sols se dessèchent en profondeur, ils sont souvent épuisés et ne peuvent plus fixer l’eau, des déserts apparaissent. Bien évidemment la cause de ces désordres est clairement identifiée et documentée, c’est l’action de l’homme. Le château de carte du climat où tout est interdépendant est en train, par sa faute, de s’écrouler.
Autre facteur d’inquiétude la pression démographique qui s’accroit, jointe à la concentration de population dans les villes. La ressource devient rare et la demande, parfois très localisée, plus importante. Dès lors, les tensions deviennent de plus en plus fréquentes, voire violentes. Si le pétrole – sa localisation, sa propriété, son extraction, son transport, son utilisation – peut expliquer la majeure partie de la géopolitique des 130 dernières années, l’eau pourrait bien être la cause des grands conflits géopolitiques qui vont agiter et modeler le monde du 21ème siècle.
On parle aujourd’hui de pays hydrodominés, hydrodominants, hydrosuffisants, d’hydrodiplomatie. La ressource en eau douce est très inégalement répartie, aucun être humain ne pouvant vivre sans, les crises sont inévitables. Les fleuves et rivières sont de plus en plus mis à contribution, exploités – pour ne pas écrire pillés - comme jamais. La plupart sont transfrontaliers et traversent donc plusieurs pays. Les habitants de ceux d’amont bâtissent des barrages qui pénalisent ceux d’aval en les privant d’une ressource indispensable ; sans parler du désarroi des habitants des deltas doublement pénalisés puisque la raréfaction d’eau douce ne permet plus de combattre la salinisation de leurs territoires.
La planète va souffrir, la nature va être transformée, les êtres humains vont connaître des lendemains extrêmement difficiles. En effet, sans eau, avec au surplus des températures en augmentation comment s’hydrater pour autant qu’elle ne soit pas polluée (autre problème, certains fleuves comme le Gange, pour ne citer que lui, sont des poubelles à ciel ouvert), pas d’agriculture, pas de mines, pas d’énergie notamment électrique. Et en France, par exemple, plus de refroidissement des centrales nucléaires, d’où une fragilisation du programme nucléaire. Mais aussi, sans eau, plus d’assainissement d’où choléra et autres maladies hydriques.
Les russes qui bombardent les ouvrages hydrauliques ukrainiens –installations vitales pour les populations civiles - en violation totale des accords de Genève de 1949 et des protocoles additionnels de 1977 - savent parfaitement ce qu’ils font. Un pur scandale, un de plus. L’eau est devenue une véritable arme de guerre, une composante stratégique des opérations militaires un peu partout dans le monde : on peut en priver des ennemis, on peut aussi les inonder. Certains ne s’en privent pas, et curieusement (!) ce sont toujours les mêmes espèces d’hommes qui recourent à cette arme : potentats, dictateurs et autres salopards dont le club mondial est malheureusement bien fourni.
Beaucoup cherchent à se l’approprier à leur profit exclusif – pays, mais aussi particuliers ou professionnels tels certains exploitants agricoles (voir par exemple, mais ce n’est pas le seul, le problème des méga bassines). Alors qu’il s’agit d’un bien commun que les hommes se doivent de protéger, gérer et répartir équitablement, et surtout le faire à des coûts représentant sa vraie valeur : être un bien commun ne signifie nullement la gratuité de celui-ci. La rareté oblige à une réflexion approfondie sur l’utilisation et l’attribution équitable de l’eau. Rien ne se bâtira de façon pérenne qui ne soit inspiré par la justice, notamment sociale.
Il va falloir envisager de changer profondément notre mode de vie et le fonctionnement de nos sociétés. Comme l’écrit justement le professeur en science politique de l’université de Bordeaux, Patrick Chastenet, « il est impossible de croire au bien fondé d’une politique qui promet à la fois la croissance et la sobriété, le capitalisme sauvage et la préservation de la nature, le développement illimité et la sauvegarde de la planète, bref, le même et son contraire. »
Qui l’emportera de la folie de certains humains ou de la sagesse d’autres ? De la réponse à cette question dépendra peut-être la survie déjà bien problématique de notre espèce…
Jacques Lavergne / Esprit Occitanie / Les Masseries, le 15 mai 2023
Ecouter sur ESPRIT OCCITANIE le cycle des émissions Arcania dédié à l’eau douce: émissions ARCANIA
L'Editorial du 08 Avril 2023
Une écorne de plus à la démocratie ?
La philosophe Elsa Dorlin (professeur à l’université Toulouse-Jean-Jaurès), dans un article de l’hebdo le 1 (N°439), a résumé la situation ainsi : « la démocratie a toujours reposé sur une conflictualité que l’idéologie néolibérale cherche à passer sous silence pour laisser croire qu’il n’y d’autre alternative que la marche vers le « progrès »………. « et lorsque la conflictualité ne peut plus être ignorée, elle est rendue sale et menaçante, elle est marginalisée et criminalisée ».
Observer le déroulement des manifestations depuis quelques années amène à s’interroger sur l’exercice du droit de manifester, un droit fondamental dans une démocratie. C'est le décret-loi du 23 octobre 1935 qui fixe, pour la première fois, une réglementation d'ensemble sur l'action de manifester sur la voie publique. Ses dispositions sont désormais intégrées au code de la sécurité intérieure. Fort bien, mais pour autant, tout n’est-il pas mis en œuvre aujourd’hui dans ce pays afin de dissuader la population de descendre dans la rue et d’exercer son droit imprescriptible de manifester. Comment cela ? Mais tout simplement en rendant les manifestations de rue suffisamment dangereuses pour que certains appréhendent de s’y risquer. A preuve, 53% des Français disent craindre d'aller manifester par peur d'être "victime de violences" (source : sondage YouGov/HuffPost cité par le magazine en ligne TTSO)
Il s’agit d’effrayer en exerçant une répression brutale avec des moyens surdimensionnés et des fonctionnaires surarmés[1], surentrainés dont l’action violente, parfois provocatrice, fait monter la tension, et par un effet mécanique d’entrainement, la violence engendre la violence. On créé ainsi une escalade laissant à penser d’une part que la rue est périlleuse, qu’il vaut donc mieux rester chez soi et que, d’autre part, les manifestants sont tous des casseurs au couteau entre les dents. Message soigneusement relayé par des politiques, dont le ministre de l’intérieur actuel, qui ne craignent ni l’outrance dans le propos, ni les déclarations volontairement erronées et provocatrices, ni de jouer avec certains mots ou concepts. Pitoyable tentative de manipulation des esprits : certains jouent sans vergogne avec le feu faisant preuve par là d’une inquiétante et clivante irresponsabilité.
Certes il est évident que des groupes violents, habitués à l’affrontement et équipés pour cela, se glisse systématiquement dans les cortèges avec une intention évidente : en découdre avec les forces de l’ordre et saccager tout ce qui peut l’être. Une minorité cependant même si violente, déterminée et organisée. Une minorité qui brouille et occulte le message de la foule rassemblée et quelque part lui vole l’expression de son mécontentement. Une minorité nihiliste qui ne porte aucun intérêt aux revendications exprimées dans la rue. Mais une minorité qui permet aux tenants du pouvoir de répondre à la violence par la violence de façon indiscriminée et de la pratiquer d’une façon dite légitime puisque exercée par l’Etat, une espèce de censure du message porté par la foule qui le décrédibilise de facto. Et en jouant la stratégie du pourrissement, message fort bien relayé par certains médias « bien intentionnés ».
L’occasion d’observer des pratiques policières bien loin de toute éthique républicaine, et même de la simple idée de Justice, où domine force brute, insultes racistes et homophobes, exactions diverses commises sous l’uniforme de robocops qui se croient tout permis. Et peut-être d’ailleurs c’est ce que justement le pouvoir attend d’eux. Mais il faut se garder de généraliser à l’ensemble d’un corps de fonctionnaires ce type de dérapage. Là aussi, une minorité déviante peut ternir un ensemble d’hommes et de femmes exerçant avec conscience et mesure un métier des plus complexes.
Aujourd’hui toutefois, une question se pose, très politique celle-là : en dehors du strict maintien de l’ordre public qui peut se pratiquer avec différentes méthodes[2] (voir par exemple comment opère la police allemande dans pareille circonstance, laquelle s’efforce - avec succès - de faire baisser la tension, pas de la susciter ou de l’exacerber comme en France), les forces de l’ordre ne sont-elles pas instrumentalisées au service de la carrière politique de certains, tel par exemple le ministre actuel de l’intérieur qui joue manifestement une carte personnelle, avec bien sûr l’approbation d’une première ministre et d’un Président acculés dans une impasse politique ?
Notre pays connait un problème majeur qui n’est d’ailleurs pas propre à la France : nous avons pléthore de politiciens, pas mal de politicards, mais aucun Homme d’Etat, soucieux de la chose publique, du dialogue constructif entre les Français et leurs représentants. Et surtout porteur d’une ambitieuse vison d’avenir à long terme susceptible d’entrainer une dynamique fédérative.
L’occasion de citer le regretté Pierre Desproges « Nous n’avons plus de grands hommes mais des petits qui grenouillent et sautillent de droite et de gauche avec une sérénité dans l’incompétence qui force le respect. »
Jacques Lavergne , 8 avril 2023, pour Esprit Occitanie.
L'Editorial du 19 mars 2023
« Je cherche un homme » (1)
Un Président de la République se doit d’être avant tout un rassembleur à l’écoute des Français, connaissant bien et ceux-ci et le pays de France. Il se doit d’écouter, de communiquer, d’éclairer le chemin, de donner à la population tous les éléments de nature à lui permettre de mesurer les enjeux, de tout mettre en œuvre afin de la convaincre de la justesse de sa politique.
Ce qui implique de ne mépriser personne, d’entendre les corps intermédiaires et d’éviter les basses manœuvres politiciennes sentant par trop l’arrière boutique politicarde. Courage, humilité, détermination, empathie, hauteur de vue et proximité avec ses concitoyens. Oui, je sais, le portrait robot ainsi dessiné est un idéal jamais atteint par nos Présidents passés, même si certains s’en sont rapprochés sensiblement.
Aujourd’hui, force est de constater que le Président actuel, élu par peu de français dont beaucoup ont voté par défaut afin d’éviter le pire, est aux antipodes de cette figure idéale. Ce qui amène naturellement à se poser la question de savoir si Emmanuel Macron dispose de l’intelligence nécessaire à l’exercice de sa fonction. Et poser la question, c’est quasiment y répondre !
Lointain, ne connaissant ni le pays ni les Français, volontiers donneur de leçons (même à nos partenaires internationaux ce qui n’améliore pas l’image de la France), orgueilleux et raide, adepte de la décision et de l’action solitaire, sûr de lui et péremptoire, il gère le pays comme il le ferait d’un établissement bancaire. Comment un homme encore jeune peut-il agir selon des principes et des valeurs aussi datés ? Il nous a vendu durant sa campagne un monde politique nouveau, des promesses de changement d’attitude et de méthode. Il faut bien constater qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil macronien si ce ne sont une politique souvent erratique, des décisions prises à l’emporte-pièce, des réformes imposées à la hussarde qui divisent et affaiblissent le pays.
Et vers quoi et qui ira un Pays lassé et désabusé de la politique, inquiet de voir un monde et une société qu’il ne comprend plus, qui le fait vivre durement, même si comparé à beaucoup d’autres la France demeure un havre où il fait bon vivre ? A l’évidence comme d’autres se jeter dans les bras de femmes et d’hommes se vendant comme providentiels, aux idées simples voire simplistes, irréalistes et éculées, qui nous expliquent qu’avec eux le passé va ressurgir, que sous leur férule la vie sera douce, les dangers écartés, les étrangers qui viennent voler notre pain expulsés, bref que les lendemains chanteront à nouveau.
Foutaises dangereuses certes mais qui sonnent agréablement à l’oreille de Français, déboussolés, manipulés et perdus, qui préfèrent céder au chant délicat et trompeur de certaines sirènes plutôt que de voir la réalité en face, de tenter de la comprendre et d’agir en conséquence. Léthargie organisée et acceptée, laisser aller jouisseur sont les ennemis de la démocratie.
Où est la vision de l’avenir du Président Macron ? Quel récit de celui-ci nous a-t-il livré depuis son arrivée à l’Elysée ? Aucune et aucun : une gestion de boutiquier élitiste et lointaine en tient lieu. Comment faire face aux défis de ce 21ème siècle déjà bien entamé que sont l’injustice protéiforme, les inégalités sociales, les graves tensions géopolitiques, et surtout, surtout les grands risques que font courir à la planète et à nos civilisations le réchauffement climatique, les pollutions de tous ordres, l’épuisement des ressources naturelles, la raréfaction de l’eau, l’écroulement de la biodiversité ?
C’est peu de dire qu’il n’est pas l’homme de la situation ni de l’époque. Constatation qui nous amène naturellement à cette épineuse question : qui pour faire le job à sa place ou/et après lui ? A force d’avoir délaissé la politique, les Français – et ils ne sont pas les seuls dans ce cas – l’ont laissé aux mains de femmes et d’hommes qui prétendent mener le bal mais dont beaucoup sont loin d’avoir les qualités intellectuelles et humaines nécessaires, quant ils ne sont pas franchement médiocres. A une époque où les problèmes à surmonter sont aussi complexes que considérables, il est impératif de confier nos intérêts à des concitoyens compétents, éclairés, et disons le visionnaires.
Où sont-ils, car il en existe nécessairement ? Et aura-t-on la lucidité, s’il s’en trouve, de les soutenir, de nous réinvestir dans la réflexion et l’action politique, de prendre nos intérêts en mains ? Il faut l’espérer, sinon nous donnerons raison à Albert Einstein lorsqu’il écrivait que « le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui regardent sans rien faire ».
(1) Diogène de Sinope , 413-327 avant J.C.
Jacques Lavergne / Edito pour Esprit Occitanie / le 19 mars 2023
L'Editorial du 06 mars 2023
Parlons Justice !
Que ce soit dans le monde anglo-saxon ou dans la société française, dominés par l’utilitarisme[1] et la philosophie analytique, l’ouvrage de John RAWLS, « Théorie de la justice »[2], a suscité un choc et le débat dès sa publication.
À partir de 1962, John RAWLS, professeur à Harvard, se consacre tout particulièrement à la question de la justice et commence de construire un corpus théorique dédié à ses étudiants. Il y travaille sous l’angle d’une théorie globale.
Il propose de fait une nouvelle construction de l’idée de justice sociale. Il dépasse l’utilitarisme et s’approprie la pensée contractualiste du XVIIIème siècle.
Dans cette approche, il articule philosophie, politique et économie. D’aucuns y voient une possible approche socialiste dépassant le marxisme, quand d’autres y associent l’affirmation renouvelée du nécessaire État providence, sans qu’aucun des bords n’ait fondamentalement raison .... Le « nouveau contrat social » et moral proposé par Rawls, surtout conceptuel (il laisse la porte ouverte à l’opérationnalité) provoque une dynamique nouvelle de la pensée.
En 2021, ont été fêtés les 50 ans de la théorie rawlsienne[3]. Pourquoi un tel engouement ? Pourquoi ce livre traduit en 28 langues, devenu le livre de philosophie le plus cité et commenté du XXième siècle continue-t-il de faire mouche ?
Rawls pose le principe conceptuel d’une justice qui serait définie de façon pré-immanente à l’état de société. Décidée par les individus, ignorants de leurs conditions[4], cette justice est la « vertu première des Institutions sociales ». « Le droit n’est droit qu’autant qu’il protège et garantit la norme de justice et d’abord celle qui reconnaît la dignité de la personne humaine ». Les principes de la justices sont posés de la façon suivante :
§ Principe d’égalité dans l’attribution des droits et devoirs de base [5] « chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales qui soit compatible avec le même système pour les autres » ; ceci est prioritaire.
§ Principe de différence : les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon qu’à la fois : elles soient attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous dans des conditions de juste égalité des chances ET elles doivent être au plus grand avantage des membres les plus défavorisés de la société.
Plus que d’égalité, c’est d’équité dont parle Rawls. Il est attaché à la valeur équitable de la jouissance des droits et des libertés. Il refuse tout avantage issu d’inégalité de naissance comme il s’oppose à la méritocratie. Il soutient la démocratie constitutionnelle sans pour autant trancher sur ce que serait « réellement » celle-ci.
John Rawls va encore plus loin et complète sa réflexion en ajoutant deux autres principes : Le principe d’efficacité et le principe de redressement.
L’efficacité économique suppose l’esprit d’initiative. Il faut récompenser les efforts toutefois, le bien-être collectif doit primer sur l’efficacité.
Le principe de redressement, quant à lui, commande à une société juste de secourir les défavorisés de sorte qu’ils puissent bénéficier de l’égalité des chances. Il ne s’agit pas de faire la charité. Ce principe de redressement vise la justice, assure le fonctionnement optimal de la coopération et concourt par conséquent à l’avantage de tous les citoyens et à la fraternité.
La théorie de Rawls nous sert à questionner les enjeux actuels mais surtout la façon dont nous avons de les traiter. Nous croulons sous les textes législatifs, règlementaires que ce soit en droit national, européen ou même international. Les progrès dans toutes les sciences nous conduisent à des (r) évolutions techniques, culturelles … Sommes-nous certains que le Droit ne balaye pas la Justice d’un revers de main ?
Quelle appropriation du juste et du bien ? Quel regard sur l’appropriation de richesses internationales ? Quelles tensions entre Justice et communautés ? Comment appréhender les crises migratoires ? Comment combat-on l’inégalité de genre, la vulnérabilité ? Comment défendons-nous la protection sociale ?
En somme, peut-on réellement parler de Justice en ce début de XXIième siècle ?
Ne pas être d’accord sur ce qui devrait être un monde juste ne doit pas empêcher d’agir de façon urgente pour la réduction des injustices flagrantes.
Andrés Atenza
[1] L’utilitarisme affirme qu’une société juste est celle qui maximise la somme des utilités de ses membres ; l’utilité étant ici à entendre comme une « unité de bonheur ». Ses défendeurs sont Bentham, John Stuart Mill. Cette doctrine issue de la philosophie dite des Lumières se veut moderne, humaniste et altruiste.
[2] J Rawls, Théorie de la Justice, Cambridge, Massachusetts, EU, 1971. Première édition française en 1987.
[3] « Théorie de la justice 50 ans après, héritages et usages de Rawls » colloque Universités de droit Paris.
[4] Notion du « voile d’ignorance »
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