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20 décembre 2024

Intelligences disparues, intelligences éteintes

ou 

La solitude (tragique) de l’Homo Sapiens  

Aujourd’hui je vous propose d’effectuer un saut dans le temps (passé et à venir) et dans un relatif inconnu, autrement dit un exercice de pensée. Je vais vous amener dans la préhistoire, laquelle représente une profondeur temporelle difficilement imaginable, plusieurs millions d’années. Cette échelle est difficile à concevoir tant elle dépasse la perception mémorielle commune. L’auteur de L’Origine des espèces, Darwin, était déjà bien conscient du problème, qui se manifestait à l’époque - déjà – face au principe de l’évolution naturelle : « L’esprit ne peut concevoir toute la signification de ce terme : un million d ‘années ; il ne saurait davantage ni additionner ni percevoir les effets complets de beaucoup de variations légères, accumulées pendant un nombre presque infini de générations ».

Les propos qui vont immédiatement suivre vont peut-être vous paraître exagérément pessimistes, mais je serais heureux que l’on me démontre, de façon rationnelle, argumentée et construite que je fais fausse route. Toutefois, les travaux et recherches que j’ai menés dans les domaines de « l’environnement » (mot valise ! mais commode quand on l’entend au sens large) et dans celui de la géopolitique, deux secteurs étroitement liés, ne m’ont jamais permis – malgré le désir que j’en aurais eu - de varier d’un iota dans mes conclusions.

Il ne vous a pas échappé que l’homo sapiens se trouve à présent dans une très mauvaise posture, qu’il fonce à une vitesse vertigineuse vers un avenir qui n’en a plus aucun. Epuisements des ressources naturelles, écroulement dramatique de la biodiversité, pollution polymorphe considérable et mortifère, changement climatique accéléré mettant à mal les conditions même d’apparition de la vie humaine et de l’habitabilité de la planète, violences et massacres divers et variés entre Etats ou/et au sein même des Etats, détention incontrôlée et incontrôlable d’armes de destruction massive, mafias tentaculaires et dangereuses véritables pourrisseuses de société, alimentation déséquilibrée voire nocive mettant en péril la santé publique, refus de partage des communs (notamment l’eau, cf. mon feuilleton estival), menaces de virus inconnus notamment ceux emprisonnés dans le permafrost (en train de fondre), systèmes économiques totalement déréglés, systèmes politiques oscillant entre la répression et la chienlit, dirigeants incompétents et/ou dépassés, et/ou profiteurs, surpopulation ici, démographie en berne là, populistes et complotistes partout. Toutes ces problématiques se combinant et évoluant exponentiellement.

Bref, je ne vais pas vous entonner « Tout va très bien madame la marquise », mais globalement l’esprit de cette chanson est là, et c’est l’air que l’on entend quotidiennement sous des formes variées. Que s’est-il passé pour que nous en arrivions là, pour que nos civilisations qui ont eu et qui ont encore des moments brillants, prennent inexorablement le chemin de la sortie ? Car, il ne faut pas se leurrer, nous nous acheminons inévitablement vers la disparition de l’espèce Sapiens à plus ou moins long terme après quelques phases de déliquescence certainement très désagréables à vivre pour ceux qui les connaitront. Relisez le roman d’Harry Harrison, Soleil Vert, ou regardez le film éponyme ; revisionnez la série Mad Max, vous aurez une - petite - idée de ce qui attend nos descendants à qui nous avons consciencieusement savonné la planche.  

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné chez l’homo sapiens pour que la question de sa disparition se profile ? Ou peut-être faut-il poser la question autrement, n’est-ce pas là une fin inéluctable, inscrite dans ses gènes, une espèce d’obsolescence programmée ? Car enfin, il avait tout le loisir d’agir autrement, de se conduire différemment, d’avoir une autre vision du monde, une autre conception de ses rapports avec ses semblables et la planète qu’il habite. Et non comme l’écrivait Kant massacrer ceux-là et celle-ci au nom d’un « appétit insatiable de possession mais aussi de domination ».  Mais soyons en sûr, cet appétit apparemment irrépressible est un choix de l’espèce. Car enfin, les graves problèmes – quasiment existentiels - auxquels ils se trouvent maintenant confrontés ne sont pas nouveaux et surtout n’étaient pas inéluctables puisque créés de toutes pièces par lui.

Même s’il se refuse aujourd’hui à voir la réalité, avec une grande cécité volontaire, une obstination dans le déni qui interroge ; voire qui donne à penser qu’il s’agit purement et simplement d’une limite cognitive. Scier avec autant de constance, d’enthousiasme même, la branche sur laquelle on repose, tout en ayant parfaitement conscience du vide mortel dans lequel nous allons plonger, montre bien qu’il existe une faille profonde, une zone d’ombre, une incomplétude dans le cerveau de l’homo sapiens. Sa destinée lui échappe, il le sait, le voit, le constate, en devine l’issue, mais il ne change rien à sa direction, voire même il accélère. Il est incapable de réagir, impuissant à infléchir sa trajectoire, le véhicule lui a totalement échappé. Magnifique et tragique manifestation d’un suicide collectif.  

Qui n’est peut-être pas la première dans la très très longue histoire de la Terre. J’ai sous-titré ce texte « la solitude de l’homo sapiens ». Il est en effet aujourd’hui le seul occupant de cette planète : cela n’a pas toujours été le cas. Et il n’est là que depuis environ cinquante cinq mille ans, peut-être un peu plus, autrement dit c’était hier. Avant lui, d’autres humanités, successivement ou simultanément, ont vécu dans ces mêmes lieux pendant des centaines de milliers d’années. Des consciences extérieures à nous, des sphères mentales qui n’étaient pas les nôtres. Ces plus anciens hominines en ont laissé des traces, ténues, mystérieuses, émouvantes parfois, entre autres de maigres séries d’éclats en quartz ou quartzites taillés, qu’il nous revient aujourd’hui d’étudier et de décoder. Et ce n’est pas simple même si une nouvelle génération de scientifiques aux savoirs et au savoir-faire pointus, hyper spécialisés, usant de machines sophistiquées et puissantes, si emploient avec talent et passion.  Et nous ferions bien de nous intéresser de près à leurs travaux et de leur consacrer les financements nécessaires fussent-ils importants.

Pourquoi ? Parce que arrivés là où nous en sommes, nous devons impérativement éclaircir certains aspects de notre passé lointain et répondre à des questions essentielles et pressantes. Aujourd’hui, nous sommes perdus sans boussole pour nous guider : si nous ne savons pas d’où nous venons, comment savoir où nous diriger ? Certes, si nous poursuivons ainsi, nous pouvons commencer à distinguer où nous allons comme je le disais ci-dessus, c’est à dire vers le néant de notre espèce. Un chemin que d’autres ont pris avant nous. Ils s’appelaient Néandertaliens, Denisoviens, Heidelbergensis (l’homme de Tautavel), Homo Erectus, Homo Antecessor, Homo Rhodesiensis, Homo floresiensis (en Asie insulaire) Homo nadeli (en Afrique du sud) et quelques autres…

Nous avons très marginalement en nous certains de leurs gènes, les différentes espèces étant dans certains cas interfécondes. Mais ils n’étaient pas nous, nous ne sommes pas eux. Nous ne sommes même pas stricto sensu leurs descendants, ils étaient d’autres humanités bien différentes de nous. Certes, toutes les formes de vie sur Terre proviennent d’une molécule apparue il y a environ 3,5 milliards d’années. Mais contrairement à ce que certains ont cru, l’évolution des hominidés n’est absolument pas linéaire mais bien buissonnante, et cela c’est fondamental. Quelques gènes de plus ou de moins ne changent rien à l’affaire. Notre ADN est bien similaire à celui du chimpanzé, 1,2 % de notre génome nous sépare de lui. Mais l’ADN humain renfermant 3 milliards de nucléotides, ce 1,2 % correspond à 35 millions de différences, toutes survenues au hasard au fil du temps.

Nous ne sommes pas non plus les derniers maillons les plus sophistiqués d’une chaîne : nous avons pris la place d’autres humanités parce qu’elles nous l’ont laissée. Nous ne les avons ni combattues, ni exterminées, elles étaient là avant nous depuis des centaines de milliers d’années. Elles s’en sont simplement allés, sans bruit et sans fureur. Pour les Néandertaliens ce fut peu après notre arrivée et après avoir partagés un certain temps quelques territoires avec nous (nous sommes aussi des immigrés, et en provenance d’Afrique, ne l’oublions jamais !). Ces néandertaliens – à l’instar des autres humanités - avaient d’autres manières d’être au monde, d’autres structures mentales, d’autres formes d’intelligences toutes aussi performantes que les nôtres.

Qu’auraient-ils fait, accompli, bâti s’ils avaient poursuivi le chemin, leur aventure humaine ? Seraient-ils comme nous parvenus à un point de non retour, à une extrémité qui leur aurait été fatale, se seraient-ils trompés comme nous l’avons fait sur la direction à prendre ? Ou auraient-ils mis en œuvre plus de pondération dans leur développement, plus de respect envers leur milieu naturel et leurs semblables, plus de sagesse dans leur vie quotidienne, auraient-ils été plus économes des ressources naturelles offertes par la planète ?

Il est impératif que nous en sachions plus sur eux ; car jusqu’ici « notre inconscience de ce que nous sommes au monde est totale » (Ludovic Slimak, archéologue, chercheur au CNRS). L’Homo Sapiens dans son splendide isolement ne peut poursuivre son chemin sans issue, sûr de lui et dominateur. Il l’a fait pendant quelques milliers d’années mais les dernières dizaines risquent fort de lui être fatales. Car au cours de celles-ci, et notamment depuis le début du siècle dernier, il a démontré des capacités de nuisances hors normes envers le vivant et son milieu naturel. Si l’espèce veut perdurer, elle doit sans attendre réformer ses méthodes d’être au monde, faire preuve d’humilité et s’intéresser aux cultures même lointaines qui l’ont précédé. Donnant ainsi raison au grand historien spécialiste de la Rome antique

Paul Veyne, lorsqu’il écrivait dans son Palmyre, l’irremplaçable trésor : « Oui, décidément ne vouloir connaître qu’une seule culture, la sienne, c’est se condamner à vivre sous un éteignoir ».

Pour aussi complexe que cela soit, il est grand temps de faire parler ces intelligences disparues, éteintes, et de recueillir leurs enseignements. La plus « proche » de nous étant certainement celle des Néanderthaliens que nos lointains ancêtres ont fugitivement rencontrés. Imaginez la scène, deux humanités séparées par des milliers d’années d’évolution parallèle qui se croisent ! Ces rencontres occasionnelles, fugitives, ont dû être riches de réflexions, d’étonnement, d’échanges, peut-être d’incompréhensions réciproques. Mais cela s’est une autre histoire.

Il est grand temps, notre survie en passe par là, d’éclaircir certains mystères et de se poser enfin les bonnes questions :

                 Pourquoi ces humanités ont-elles toutes successivement disparues ?

                 Par quel processus se sont-elles éteintes ?

                 Pourquoi l’homo sapiens est-il resté seul sur cette planète ? Quelque chose aurait-il joué à son profit ? Mais quoi ?

                   Pour quelle raison, environ vers le 70ème millénaire, tout s’emballe, tout est pris de frénésie chez l’homo sapiens ? Pourquoi cette transformation soudaine et profonde dans sa manière de penser et d’être au monde ? Comme si, jusque là, Sapiens ne mettait à son profit son remarquable potentiel ? (Ludovic Slimak)

          °         Après lui, qu’y aura-t-il, que va-t-il se passer dans mille ans, dix mille ans, cent mille ans, un ou deux millions d’années voire plus?

Ces mystères sont au cœur même de notre présence sur cette Terre depuis des millions d’années. Toutes les humanités qui l’ont habitée se sont posées, d’une façon ou d’une autre, la question de leur présence. Que nous soyons là est certainement un premier sujet d’étonnement. Mais pour moi, il en est une autre, beaucoup plus important : pourquoi d’autres humanités ont irrémédiablement disparu sans qu’aucune cause de cette disparition soit discernable aujourd’hui ? Nous savons aujourd’hui comment l’homo sapiens va selon toutes probabilités disparaître, sauf inflexion radicale, immédiate et donc hautement improbable de sa façon d’être au monde. Même s’il est plus complexe de rayer de la surface de la planète neuf milliards d’individus que quelques milliers de Néandertaliens.

Mais il va s’autodétruire et nous savons combien l’homo sapiens est efficace, tenace, industrieux et amoureux d’une technique qui se retourne assez souvent contre lui (voir sur ce point les écrits du Professeur Jacques Ellul / Le Bluff Technologique notamment). Il va donc réussir, on peut en être certain. D’aucuns en ont eu conscience depuis même fort longtemps. Connaissez-vous Jean-Baptiste Lamarck ? C’est le père du transformisme qui est la théorie de l’évolution juste avant l’apport de la sélection naturelle de Darwin et Wallace. Et bien Lamarck est l’auteur de cette phrase prophétique, écrite en 1817 : « L’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable ». 1817 ! Bien vu, non ! Une phrase qui terminait un paragraphe qui mérite d’être cité entièrement – même si la citation est un peu longue - en raison de sa pertinence, de sa clairvoyance anticipatrice :

« L’Homme par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène la stérilité qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leurs subsistance et fait que de très grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous égards sont maintenant inhabitables et désertes. Négligeant toujours les conseils de l’expérience pour s’abandonner à ses passions, il est perpétuellement en guerre avec ses semblables et les détruit de toutes parts et sous tous prétextes : en sorte qu’on voit des populations autrefois considérables, s’appauvrir de plus en plus. »

(In : Système analytique des connaissances positives de l’Homme/ JBL/1830)

On ne pourra pas dire que certains n’aient pas tiré la sonnette d’alarme…mais en vain !

Rappelons-nous aussi les écrits de Jared Diamond (Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, 2009), et ceux d’Arnold Toynbee (La civilisation à l’épreuve, Gallimard, 1951). Les deux relèvent que derrière tous ces processus toutes ces anecdotes, plus profondément « les civilisations meurent de suicides, pas d’assassinats » (Toynbee). Dans une incapacité de relever les défis de leurs temps. Une incapacité dont les sociétés humaines semblent bien être les seules responsables. C’est aujourd’hui le cas de Sapiens.

Reste donc une question, LA QUESTION : quelle est donc cette mystérieuse malédiction qui pèse sur les humanités qui ont peuplé ou peuplent cette planète, malédiction qui les conduit toutes un jour ou l’autre à la disparition ?

Est-ce que la molécule qui nous a fait éclore il y a trois milliards et demi d’années recelait une faille dans sa constitution, faille qui nous serait fatale à tous ?

Ou alors….Ou alors… Mais là ce serait vraiment énorme !!!

Vous l’avez peut-être noté, j’ai évoqué plus haut la notion d’obsolescence programmée. Cette fichue molécule originelle aurait-elle été programmée pour que justement toutes les humanités qui en étaient issues aient une fin et disparaissent un jour pour laisser la place à autre chose ? La planète serait-elle un objet d’expérience, un laboratoire ?

Ce qui de facto impliquerait qu’il y ait un programmateur et un ou des expérimentateurs….!!!

Alors, erreur de conception de la nature ou volonté et dessein supérieurs ?

Là est la question…   

Jacques Lavergne /  2024

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